
Auteur : Vaillant Jean Alexandre
Ouvrage : Islam des sultans devant l’orthodoxie des Tczars
Année : 1855
Aujourd’hui que les deux plus puissantes nations
de l’Europe, l’Angleterre et la France, l’une protestante
et l’autre catholique , mues par un même
sentiment de justice, prêtent une main amie à la
plus puissante des nations musulmanes et font avec
elle alliance de leur politique et de leurs intérêts
contre l’orthodoxie exclusive et conquérante des
tczars , peut-être n’est-il pas inopportun de faire
connaître au public , par un exposé vrai de l’oeuvre
de MOHAMED, des préceptes du Coran et de
la morale de I’Islam, les principes fondamentaux
sur lesquels sont basées les institutions politiques
des musulmans. Ce sera, nous le pensons, disposer
les esprils à reconnaître la nécessité de celte alliance,
le mérite du devoir que se sont imposé, en
l’offrant, la France et l’Angleterre, le droit que le
mérite de la Turkie lui faisait de la solliciter, et
enfin la justice qui en a serré le noeud. Dans tous
les cas, ce sera faciliter au temps les moyens d’effacer
bien des préjugés funestes et de préparer l’avènement
prochain d’une alliance plus importante
encore, celle de tous les peuples de l’EVANGILE avec
tous les peuples du Coran.
Pour les pousser à celte alliance, nous n’opposerons
pas l’EVANGILE au Coran, puisque le Coran
confirme l’Evangile; nous n’opposerons pas non
plus l’ISLAM à ceux dont elle est la loi, puisque les
faits disent assez en quoi les musulmans l’ont transgressée;
nous nous contenterons d’opposer le Coran
et l’ISLAM à l’état civil et religieux de l’orthodoxie
des tczars, afin de montrer, d’une part, que
cet état est une transgression aussi évidente que
funeste de la lettre et de l’esprit de I’Evangile, où
la philosophie peut seule ramener les peuples que
l’idolâtrie en a éloignés; d’autre part, que le Coran
n’est pas plus la cause de la décadence musulmane
que ne l’est I’Evangile de l’anomalie chrétienne ;
que l’ISLAM, doctrine équilibrée de la mesure et du
poids, renferme en elle-même ses propres correctifs,
tandis que l’orthodoxie des tczars n’a d’autre
correctif que la philosophie; et que, conséquemment,
il y a tout à espérer, pour le progrès, d’une
doctrine qui n’a fait la gloire des Arabes que parce
qu’elle contient en elle le germe de toutes ces institutions
libérales, fraternelles et égalitaires, auxquelles
la démocratie aspire.
Si, à l’aspect qu’offre la turkie, surtout depuis la
paix de Carlovitz, il est peu d’optimistes croyant au
sérieux des réformes qui s’y élaborent, en revanche,
il est beaucoup de pessimistes qui nient la
possibilité de les mettre à exécution. Les uns et
les autres, oublieux de l’histoire, doutent que la
race turke soit apte à la civilisation et nient à l’Islam
la vertu de pouvoir l’y conduire. Ils oublient
tous que le Coran, venu six cents ans après I’Evangile,
a pourtant fait la glorieuse civilisation musulmane
six cents ans avant que I’Evangile ne fasse
celle des chrétiens; ils oublient que c’est au contact
de celte civilisation que, partis ignorants, bardés
de brutalité et cuirassés de rudesse, nos croisés
durent de revenir plus polis entre eux , plus courtois
envers les femmes, plus humains envers leurs
vassaux; ils oublient que les Turks sont de même
race que les Hongrois; que ceux-ci furent les premiers
Turks connus en Europe (1); et quand à chaque
pas ils rencontrent chez les uns des monuments
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(1) Const. Porphyrogenet.
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de l’art musulman , chefs-d’oeuvre de leur
génie; quand, au contraire, ils chercheraient en
vain chez les autres un seul monument qui attestât
à la fois le génie de leur doctrine et le leur
propre, ils ne s’en obstinent pas moins à affirmer
la supériorité de l’influence de l’orthodoxie des
Tczars et à attribuer à ce christianisme de faux aloi
la vertu exclusive de civiliser les peuples.
Assurément, si les exactions des pachas en province,
si la mauvaise répartition de l’impôt, si les
corvées injustement exigées, si les tripotages de la
douane, si les dénis de justice, si les violences
isolées de magistrats fanatiques, si le fanatisme de
la plèbe, si le gaspillage des fonds publics, si la déprédation
de la propriété, si le péché de Sodôme.
si le polyconcubinage , si toutes ces iniquités
étaient les conséquences du Coran, assurément,
leur dirais-je, vous avez raison; mais quand elles
n’en sont que les transgressions criminelles; quand
le Coran exige le contraire; quand il fait une obligation
de la science, une fête de rentrée des enfants
à l’école ; quand il a pour conséquence des
bains, des lavoirs publics, des fontaines sur les
grands chemins, des gîtes gratuits pour les voyageurs
pauvres ou attardés, des bazars que nos docks
veulent perfectionner, des latrines publiques épargnant
aux rues de la ville et aux regards des passants
l’infection et l’indécence des ordures humaines ;
quand il est toute science, toute charité ; quand
il lient tous les hommes pour frères et qu’il les fait
tous égaux ; quand il est toute prévoyance pour le
petit, faible et pauvre, et toute chasteté pour le
grand, puissant et riche, assurément, leur dis-je,
vous avez tort; vous ne jugez les Turks que d’après
ce que vous êtes; jugez-les d’après ce que
vous avez été ou ce qu’ont été vos pères, et vous
comprendrez qu’ils ont été trop grands, comme
vous, dans la guerre, pour ne pas être aussi, comme
vous, grands dans la paix; vous comprendrez que,
lorsqu’ils s’appliquent déjà à employer l’imprimerie
comme ils ont employé la poudre , à publier des
livres comme ils ont lancé des boulets, à relever
leurs fabriques comme ils ont réorganisé leur armée,
ils ne peuvent tarder à remonter au rang
que la civilisation assigne à tout peuple qui progresse
activement et avec intelligence dans la voie
du bien, seule voie de salut (selam), dont I’Islam
est la lumière et dont le Coran est le phare.
L’Islam est de toutes les religions l’une des plus
répandues. Elle relie à une partie de l’Europe la
moitié de l’Asie et de l’Afrique. Son fondateur est
Ahmed, dit Mohamed, ses croyants sont les musulmans.
Jamais hommes n’ont été attachés plus absolument
qu’eux à l’unité de Dieu; jamais hommes
ne se sont gardés plus absolument qu’eux de l’idolâtrie,
du culte des images, idoles de l’imagination et
du culte des idoles, images de l’idée; jamais hommes
n’ont témoigné à un autre homme plus de vénération
qu’ils n’en vouent au fondateur de leur religion.
Qui ne connaît les uns et ne juge de l’autre
que par la malheureuse tragédie de Voltaire ne sait
rien et juge mal. Presque tout ce qu’on dit de leur
religion et de leur jurisprudence est faux, et les
conclusions qu’on en tire tous les jours contre eux
sont trop peu fondées (1). Qui, désireux de savoir
et de bien juger, consentira à lire ce livret, demeurera
convaincu que I’Islam est réellement la lumière,
que le Coran ne le cède en rien à l’Evangile,
que le déiste musulman est positivement voué
à l’amour du prochain, amour qui renferme en soi la
loi et les prophètes, et que, législateur comme
Moïse, moraliste comme Jésus, poète comme David,
et conquérant comme Alexandre, Mohamed ne
fut ni moins grand réformateur qu’Auguste César,
ni moins grand organisateur que Charlemagne.
Si, jusqu’ici, les deux lois de Jésus et de Moamed,
l’Evangile, et le Coran, semblent être ennemies
et ne pouvoir se regarder sans rugir (2), c’est que
ceux dont ils sont les livres, on ne les lisant qu’en
aveugles, ou lisant l’un sans lire l’autre, sont incapables
d’apprécier ce qu’ils ont d’analogue dans
leur cause, leurs moyens et leur but : si, jusqu’aujourd’hui,
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(1) Voltaire.
(2) De Maistre.
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leurs adeptes des deux sexes ne peuvent se
regarder que comme des êtres d’une nature essentiellement
ennemie et séparée pour jamais (1), c’est qu’ils
se font un mérite vertueux du fanatisme criminel qui
les illumine et les brûle d’une satisfaction honorable
de la haine honteuse qui les aveugle et les tue. Mais
voici le jour où seul le vrai chrétien sera musulman,
où seul le vrai musulman sera chrétien, car la
loi morale est de la nature, et la loi sociale est de
l’art; car la loi sociale est l’art d’adapter à l’humanité
la loi morale de la nature ; car il n’est qu’une
morale comme il n’est qu’une harmonie; car il
n’est qu’une science comme il n’est qu’une vérité;
car la morale est l’harmonie des esprits et des
coeurs, des intelligences et des sentiments, comme
l’harmonie est la morale des voix et des sons, des
corps et des espaces; car le jour est venu qui
doit confondre tous les bons esprits, tous les
bons coeurs, tous les justes, dans la Socionomie,
résultat de là lumière du monde et de l’intelligence
de l’homme, vérité du Coran et de l’EvANGiLE, Evangile
et Coran de vérité, loi sociale enfin, dont la
loi morale est le type et qui, par l’harmonie de l’unité
et de la pluralité, de la multitude et de l’individu,
doit relier a jamais la terre au ciel et
l’homme à Dieu.
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(1) De Maistre.
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« Un jour nous susciterons un témoin pour
chaque nation.—Alors les infidèles seront sans
excuse; alors les méchants verront leur supplice;
alors les idolâtres se soumettront à
Dieu. » « Un jour nous ferons venir les peuples,
leurs chefs en tête ; on donnera a chaque
homme, dans sa main droite, son livre; chacun
lira ce livre et nul ne sera lésé d’un brin.»
« Car le mensonge est destiné à s’évanouir,
quand apparaît la vérité ; et ce jour-là la terre
sera nivelée comme une plaine. »
(Coran, ch. 46, v. 85, 86, 87; — ch. M,
V.78, 83; — chap. 18, v. 45.)
Ahmed, fils d’Abdala et d’Amina de la tribu des
Coréis, naquit à Mekkè le 1er avril 569. Coréis d’Arabie,
comme on était Corite de Judée, Curète de
Colchide, de Phrygie et de Crète, Curite ou Quirite
du Latium, c’est-à-dire de la tribu astrale; il
était de cette tribu sacerdotale arabe issue des Curu
indiens, de ces fils du soleil, ou raïput, dont la
lance et la science, emblèmes et reflets de la force
rayonnante et de l’évidence lumineuse des astres
{cores’) et du soleil (corsid) étaient sur terre comme
au ciel le cur ou pourquoi et le curateur ou gardien
des choses et des hommes. Pauvre, n’ayant hérité
de son père que cinq chameaux et une esclave
éthiopienne, il cultivait lui-même son jardin et raccommodait
lui-même ses vêtements. A vingt-cinq
ans, il épousa Hadija, qui en avait quarante. Il avait
la tête forte, la barbe épaisse, les pieds et les mains
rudes, la charpente osseuse et vigoureuse, les yeux
noirs, les cheveux plats, le nez aquilin, les joues
colorées et les dents écartées. Il était de taille
moyenne.
La Câba, cabane cubique ou maison carrée de
Mekkè, ayant brûlé, il participa, en sa qualité de
Coréis, à sa réédification. Cette Câba, à la fois
image du temps, temple de la lumière du monde
et image du monde, temple de la lumière du temps,
était le temple de la lumière de Cybèle, c’est-àdire
de la science de la terre dont le cube carré
ou le carré cubique exprime à la fois et la solidité
de la matière et la solidité de l’esprit. Elle avait été,
dit-on, bâtie par Abrah-am avec les matériaux d’Ismaël,
comme le temps est bâti par l’atmo-sphère
avec les mesures de la lune. C’est pourquoi elle
était entourée de trois cent soixante statues égales
en nombre aux 360 degrés du méridien. Succursale
de la cabale indienne et médique de Cabul et
de Bale, elle était le temple de la vérité astrale, le
sanctuaire de l’évidence de Dieu, la raison de la
science de l’homme.
Au milieu de cette Câba était une grosse pierre;
cette pierre, Opa, symbole égyptien de l’opacité
terrestre, avait été déposée là, dit-on, par Abrah-am,
de même que la terre ops semble être elle-même
déposée au centre du monde par son atmosphère.
Comme au sujet de cette pierre noire, symbole d’Ops
ou de la terre, chacune des douze tribus briguait
l’honneur de la reposer à sa place; Ahmed, pour
les concilier, la fit mettre sur un manteau dont un
membre de chaque tribu. tint un pan et la posa lui-même.
Cet esprit de conciliation lui mérita le titre
d’Emin loyal et fidèle.
Son mariage avec Hadidja ayant relevé ses affaires,
il entreprit le commerce et se mit en rapport
avec l’Occident. Ce qu’il y vit, l’anarchie des idées,
la haine des controverses, l’abus de la force et de
la puissance, l’intolérance excessive de tous les
partis, la complète dissolution des moeurs, le bavardage
inutile de grands docteurs qui ne pouvaient
s’entendre, un sacerdoce aussi stérile pour le peuple
que dangereux pour le pouvoir, toutes ces hontes
en étaient plus qu’il ne fallait pour l’éloigner
du christianisme qui, malgré la bonne morale de
son Evangile, n’avait encore rien produit depuis
six cents ans que les maux de la guerre, résultat de
la guerre des mots.
En effet, parvenus au pouvoir, les chrétiens dégénérés
n’avaient pas tardé à tourner les violences
et les cruautés, dont ils avaient été victimes, contre
les peuples qui se refusaient à accepter leurs fables
pour des réalités et leurs dogmes de foi pour des
axiomes de certitude. Aussi n’y eut-il jamais un état
aussi déplorable, une situation aussi désespérante,
un abaissement aussi profond, un asservissement
aussi dur, une soumission aussi abjecte, une domination
aussi immorale, une aussi vaste ruine de tout
sentiment du beau que du commencement du troisième
à la fin du septième siècle (1). Pendant ces
quatre cents ans, le monde de l’empire romain n’était
que ce que l’avait fait l’orthodoxie des tczars,
une immense vallée de larmes, un véritable enfer
pour la multitude, et pour les prêtres un Olympe
d’allégresse, un paradis de voluptés où ils se gorgeaient
de toutes les délices de la sensualité et de
toutes les jouissances de la chair.
Déjà, sous Décius, « les évêques se faisaient les
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(1) V. Ramey.
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agents des affaires du monde ; abandonnant leurs
frères mourant de faim, ils ne travaillaient plus
qu’à amasser par la fraude et l’usure, et oubliaient
leur mission dans les soupers et les banquets dont
ils exhalaient le lendemain l’indigeste débauche (1).
Depuis longtemps les saintes agapes n’étaient
plus que de sales orgies où l’amour se mitonnait
dans la marmite, où la foi se réchauffait
au feu de la cuisine, où l’espérance se reposait
tout entière dans les bons plats, où les chrétiens
n’avaient plus pour Dieu que leur ventre, pour
temple leurs poumons, pour autel leurs intestins,
pour prêtre leur cuisinier, pour esprit saint le parfum
des ahments, pour onction les sauces, et pour
prophètes les rôts; et leurs agapes préférées étaient
celles où les frères couchaient avec les soeurs (1 ). »
Chaque frère, en effet, s’il n’était marié comme
saint Pierre, avait, comme saint Paul, une concubine
qu’il appelait sa soeur, et en cela il imitait les
apôtres (2) qui, tous, « avaient des soeurs qu’ils
menaient partout avec eux (3). »
Cela devait être. Pour accomplir leur mission qui
était de mettre un terme à l’oeuvre de la femme,
ces esséniens, dédaigneux du mariage, avaient dû
instituer le concubinage, et leurs descendants l’avaient
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(1)Saint Cyprien, Epist.6A ad Epict., page3,deLapsis,
(2) Tertullien, de Jejunio, ch. 16-17, p. 713,
(3) Saint Jean Chrysostôme.
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mis en tel honneur qu’il n’était pas rare de
voir les riches chrétiens d’Orient vivre maritalement
avec quinze et vingt concubines. Enfin, pour comble
d’abomination, le fils de l’homme, Aïsa ou Jésus,
ayant été reconnu pour fils de Dieu et déifié au concile
de Nicée, en 322, par 318 évêques contre 1730
(2048 évêques y ayant été convoqués); non-seulemenl
celte orthodoxie des tczars avait détruit l’unité
de Dieu qu’avait annoncée l’Évangile de Jésus et
restauré sous une autre forme l’antique trinité
païenne qu’il était venu détruire, mais « l’empereur
« Constantin étant allé jusqu’à imposer aux chrétiens
leurs évêques pour être leurs dieux sur la terre,
empereurs et rois, docteurs et prêtres, clercs et
a laïques, le monde entier courbait ignominieusement
la tête sous le joug de l’épiscopat (1). »
Alors (2) l’Europe, l’Asie, l’Afrique, tout le
monde chrétien était déchiré par des soldats et
égaré par des sophistes ; alors tous les fleuves roulaient
du sang, toutes les écoles roulaient des hérésies
; alors une dissolution épouvantable passait
sur la chrétienté et ajoutait un fléau de plus à tous
les fléaux déjà connus ; si bien que, pour retrouver
de pareils jours, il fallait remonter à ces époques
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(1) Saint Cyprien.
(2) Saint Clément, Gonstit. apost. apud Coteler, t. 1,
p. 222. Rufin, Hist. ecclés., 1. 10, ch. 2.
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maudites où le patriarche cherchait dix justes dans
la Pentapole menacée du feu du ciel (l).
Tel était l’état des chrétiens d’Orient, lorsqu’Ahmed
entra en contact avec eux. Quant aux chrétiens
d’Occident, ils étaient encore peu nombreux. D’ailleurs
Visigots et Ostrogots, Vandales et Gépides,
Bourguignons et Lombards, Suèves et Francs, ils
éiaient tous plus ariens que catholiques selon l’orthodoxie
des tczars, plus évangéliques que canoniques,
plus chrétiens que jésuites, c’est-à-dire
qu’ils croyaient plus à l’humanité du Christ qu’ils
ne croyaient à la divinité de Jésus. Il était certain,
pour les premiers Francs, que Jésus n’était pas même
de la race des dieux; c’est pourquoi, en 584,
alors qu’AHMED n’avait encore que quinze ans,
« Chilpérie, leur roi et homme de sens, ne pouvant
souffrir que l’on fît de Dieu une, deux et trois
personnes, soutenait que père, fils et esprit ne
sont qu’un même Dieu, » et ce précurseur d’Ahmed,
ce Mohamed des Gaules « ordonnait de ne
« plus nommer, dorénavant, que Dieu sans trinité
«de personnes, sans personnes trinitaires (2). *
Ainsi tombe de lui-même l’argument fallacieux de
Bayle, qui fait « du prompt établissement de
l’Evangile sur toute la terre, une preuve qu’il est
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(1) Méry, Constantinople ancienne et moderne.
(2) Grégoire de Tours, liv. 5, p. 43; hv. 2, ch. 29.
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« l’ouvrage de Dieu (1), » car si à ce qui précède
on ajoute qu’en 177 de notre ère il n’y avait
encore dans les Gaules qu’une seule communauté
chrétienne établie à Lyon et à Vienne en Dauphiné
(2); qu’en 314 il n’y en avait encore que deux
de plus, l’une à Bordeaux, l’autre à Rouen ; que les
Bavarois ne se firent chrétiens qu’au septième siècle,
les Frisons, les Thuringes et les Hessois au
huitième, les Saxons au neuvième, les Russes au
dixième, et les Hongrois au onzième, on conviendra
qu’une telle promptitude n’a rien de miraculeux, que
s’en targuer est absurde; et que si une doctrine,
qui met trois cent vingt-deux ans à se faire accepter
par le pouvoir et mille ans à s’universaliser
dans ce coin de la terre que l’on appelle Europe,
peut s’en prévaloir pour conclure à la divinité de son
origine, I’Islam, qui, en moins de trois cents ans,
s’étend, à l’ Est, jusqu’au delà de l’ Indus, et àl’Ouest,
jusqu’aux colonnes d’Hercule, n’est pas moins qu’elle
en droit de s’en prévaloir pour conclure à son origine
divine, à la divinité du Coran.
Il était donc juste, juifs et chrétiens se reprochant
mutuellement de ne s’appuyer sur rien, qu’Ahmed
en conclût qu’ils lisaient sans comprendre, et que
ni les uns ni les autres n’entendaient rien aux écritures.
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(1) Dict. hist. et crit., art. Mahomet.
(2) Eusèbe, Hist. de l’Eglise.
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Il était donc juste, juifs et chrétiens disant :
Dieu a un fils; les juifs disant aux chrétiens : Ozaïr
est fils de Dieu, et les chrétiens disant aux juifs :
Le fils de Dieu est Jésus, qu’Ahmed leur répondît ;
« Par sa gloire, non, mais tout ce qui est dans les
cieux et sur la terre est sa création, et les uns et
les autres, vous n’êtes que des menteurs, comme
les infidèles d’autrefois. » Il était donc juste, les
chrétiens affirmant qu’il y a trinité, qu’AHMED leur
répondît : « Dieu est un; loin de sa gloire ce que
vous lui associez, loin de sa gloire qu’il ait un
fils! Comment aurait-il un fils, celui qui n’a point
a de compagne? Si Dieu avait un fils, je serais le
premier à l’adorer; mais il n’y a pas d’autre Dieu
que Dieu ; il est mon témoin contre vous qui ne
suivez que des opinions ou n’êtes que des men-
teurs. » Il était donc juste, juifs et chrétiens n’approuvant
que ceux de leur doctrine et ne s’en rapportant
chacun qu’à leurs livres, qu’AHMED leur dît :
« Je crois aux livres donnés à Moïse et à Jésus,
au Pentateuque et à l’Évangile, ne mettant entre
eux aucune différence. » Il était donc juste, juifs
et chrétiens disant à tout homme : Suis-nous, et tu
seras dans le droit chemin, qu’AHMED leur répondît :
« La direction qui vient de Dieu est la seule véritable ;
je suis plutôt de la religion d’Abraham, vrai
croyant. » Il était donc juste, juifs et chrétiens se
disputant le litre de fils préférés de Dieu, titre
qu’avaient pris avant eux les Gentous indiens, qu’Ahmed
leur dît : « Vous n’êtes qu’une portion des
hommes qu’il a créés. » Il était donc juste, les
prêtres chrétiens s’interposant de droit entre Dieu
et les hommes, qu’il leur dît : « Il n’est point
d’intercesseur auprès de Dieu. Il n’est point de sacerdoce
en islam. » Il était donc juste, les chrétiens
ayant pris leurs docteurs et leurs moines, leurs
évêques et leur messie plutôt que Dieu pour leurs
seigneurs, qu’Ahmed leur dît : « Il vous a été
ordonné de n’adorer que le seul Dieu, hormis lequel
il n’en est point d’autre (1). »
Oui, tout ceci était justice; et, quand il parlait
ainsi, il était d’accord avec l’un des plus grands
docteurs de l’Eglise, Arnobe, qui avait détruit la
divinité de Jupiter par cet argument:
« Jupiter a eu un père, une mère; il est né, il a
reçu la vie et la lumière; or un dieu ne saurait
naître. D’ailleurs, les dieux n’ont point d’enfants ;
ils ne viennent pas au monde; ils ne multiplient
ni ne croissent (2). »
Oui, tout ceci était justice; et, quand il parlait
ainsi, il était d’accord avec l’un des plus grands
pères de l’Eglise, Origène, qui, pour disculper les
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(1) Coran, ch. 2, v. 407, iU, 129 — ch. 5, v.2l ; — ch.
6, V. 30, 111;— ch. 4, v. 469.
(2) Arnobe, Advers. Gent.,\, 1, p. 49; 1. 3, p. 10 i; 1. 7,
p. 249.
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chrétiens de l’accusation de s’être fait un Dieu à la
façon des Giliciens et des Gètes, répond à Celse :
« Nous n’adorons pas Jésus, nous l’admirons ; —
« nous n’adorons pas la croix, nous ne devons pas
même en avoir de représentation (1). »
Oui, tout ceci était justice ; car il savait que Jupiter
est Sabésius, que Sab-àius est fils de Jovis
comme Jésus-Christ et fils de Jehova, que l’un est
l’unité de la lumière des astres et de l’intelligence
des hommes, et l’autre l’unité de la lumière du
soleil, chef des astres et du savant, soleil des
hommes.
Oui, tout ceci était justice, et quand, pour y
mettre le sceau, il disait . « Hors de Dieu point de
refuge, » il se montrait alors aussi infiniment
juste que l’orthodoxie des tczars se montra plus tard
infiniment inique en disant : « Hors de l’Eglise
point de salut ! »
Quoi qu’il en soit, dédaigneux des sophismes qui
divisent chrétiens et juifs, et les uns et les autres
entre eux, touché de pitié pour les malheurs qu’ils
enfantent, ému de compassion à l’aspect de l’immoralité
profonde dans laquelle le monde est plongé,
révolté contre l’idolâtrie sous laquelle les Arabes,
ses frères, courbent leur intelligence et que les
chrétiens s’efforcent de renouveler sous une autre
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(1) Origène, De principio, l. 1, ch. 1, n’8, p. 33
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forme , plus versé qu’on ne le croit dans les
légendes mythiques de l’Orient, doué de cet esprit
qui, de tant de fables, a composé la menteuse histoire
des hommes, assez près des traditions pour
savoir que les religions ne sont que l’allégorie de
la science, le voile sur l’évidence, la fable sur la
vérité ; que, dans l’origine, il n’était qu’une religion
comme il n’était non plus qu’une lèvre, une
parole, une langue scientifique; convaincu avec
saint Paul (1) que les sages qui l’ont révélée ou revoilée
par l’allégorie, ne sont que des fous, et, comme
lui, mettant loin de la gloire de Dieu les mensonges
qu’ils ont inventés (2), il se sent inspiré de
ce sublime amour qui, à des temps donnés, temps
d’esclavage et d’abjection, embrasse et resserre
l’humanité tout entière dans la tête et dans le coeur
d’un seul homme et conçoit le projet de l’empêcher
de choir en mettant un frein à l’excès des jeux
de mots de l’esprit et un mors à la licence des abus
du coeur. Il a visité le pays de Saba et le golfe
Persique; il a passé bien des nuits de sa jeunesse
sous le ciel étoile des Chaldéens ; il a vu le Gange
et le pays des Cinq Fleuves, les cinq fleuves du
pays de la Racine, les Panc’ab du Multan ; il a étudié
—————————————————
(1) Chap. 40′, V. 3 ; —ch. 42, v. 81 ; — ch. 59; — ch. 76,
V.23.
(2) Coran, chap. 23, v. 93.
—————————————————
les religions de Kon-fu-tzée et de Brahma, de
Budda et de Zoroastre. Il a approfondi les croyances
universelles du sanscrit des Vedda et de l’hébreu
de Davîd, dont le moine Sergius lui a expliqué les
paroles émouvantes sous les palmiers des déserts, à
Surate et à Ofir; il a compris les civilisations a la
fois graves et sensuelles de la Chine et de l’Inde,
du Thibet el de la Syrie; il a résolu, l’Evangile lui
paraissant suranné par insuffisance, de donner aux
hommes un nouveau livre propre à régénérer le
monde que l’Evangile n’a pas réussi à rendre meilleur
(1), et pour n’être ni un éclair, ni un météore,
ni un volcan, mais pour devenir le soleil d’une nouvelle
lumière et d’un jour nouveau, il fondera une
religion où le bon sens se substituera à l’imagination,
la réalité à l’image, la vue à l’idée, le type à l’idole
; il détruira le culte des grands et des doctes
dont les petits et les ignorants ont fait leurs dieux;
il renversera le culte des images de l’idée, dont
l’imagination des doctes a composé les idoles des
simples; il abolira l’idolâtrie, honte des siècles, et
frappera de mort toute tyrannie, celle de la ruse
sur l’esprit, celle de la force sur la matière, celle
du prêtre sur la conscience, celle du despote sur
le corps. Enfin il accomplira sur l’humanité ce que
le Christ avait mission d’accomplir ; il abolira l’abus,
—————————————————
(1) Méry, Histoire de Constantinople.
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l’excès, l’intempérance que les chrétiens n’ont fait
qu’universaliser ; il établira pour tous l’us, la modération,
la jouissance; il pèsera et mesurera tout au
juste; il équilibrera tout dans la balance de la justice;
il fondera l’égalité.
Plein de cette pensée, et pour la réaliser un instant
plus vite, et pour marcher plus convenablement
à son but et l’atteindre en toute assurance,
il quitte le monde, se retire dans une caverne près
de Mekkè, entre les collines Safa et Merva, et là,
comme saint Jean dans l’antre de Palhmos, il médite
sur les choses du ciel qui font les affaires de
la terre, et de là lance comme lui au monde l’horoscope
qui annonce aux hommes sa mission.
Cet horoscope, ou apocalypse, n’est autre chose
que la vision de son ascension au Mérah; et cette
ascension n’est elle-même, comme on va le voir,
que l’élévation de sa vue d’astronome et de sa pensée
philosophique dans les hautes régions des
cieux où il étudie l’harmonie morale des astres.
C’est dans cette enceinte de lumière, c’est dans
cette mer des soleils, où il médite sur cette harmonie
des constellations du monde, qu’il voit et
puise la morale harmonique que Dieu a naturellement
inculquée a toutes les sociétés de la terre.
Pour se convaincre que cette vision d’AHMED
n’est que l’allégorie de sa voyance, que cette ascension
n’est que l’allégorie de son élévation mentale,
il suffit de l’y suivre et de s’en rapporter à
l’évidence de la parole. En effet, il était couché
entre les collines Safa et Merva et il dormait, quand
soudain le soleil d’Orient, le Verbe de Dieu, le Dieu
des Guèbres, Gabri-el, lui amena la jument alborak
et l’éveilla en le saluant du titre d’apôtre.
Cette Pégase arabe est d’un gris argenlé comme la
lumière de l’aube; sa tête de femme, type de la
beauté, est le symbole du soleil qui perce à l’Orient
les blanches vapeurs du malin, et sa queue de paon
est l’expression des astres de la nuit, qui, en tout
temps, font queue derrière le soleil à mesure que,
sous son nom de Gabri-el, il s’avance d’Orient en
Occident. C’est pourquoi Gabri-el, qui, lui-même,
est la lumière de ce Pégase des Arabes, est encore
pour eux le paon du paradis des cieux; car les astres
sont les yeux du ciel de la nuit, car Hén-och
est l’oc-éan nocturne des astres, car les astres
d’Hén-och, yeux du ciel que le Paon d’Hén-ochia,
qui est Junon, reflète sur les plumes de sa queue,
sont les lettres célestes, les signes évidents, l’écriture
sacrée, la sainte écriture dont la lune est la
thèse et le thème, le mythe et le mystère, l’énigme
et le Sphinx, et dont le soleil d’Orient, la bouche
de l’aurore, le Dieu des Guèbres, Gabri-el, est l’évidence
et la vérité, la lumière et l’intelligence, le
verbe et la parole, la solution et le Phénix. Et c’est
de cet Hen-och dont elle fait sa science que tire
son nom la classe des cho-en, prêtres ou curés hébreux.
Cependant Ahmed se réveille, et montant Alborak,
il arrive à Jérusalem. Il s’y rencontre naturellement
avec Abrah-am, père de l’élévation, et avec
Moïse et Jésus,comme, en suivant le soleil d’Orient
en Occident, tout astronomme, arrivé à la fin de l’année
sacrée, s’est rencontré avec l’atmo-sphère, type
de la hauteur, et avec la lune et le soleil. Arrivé
au premier paradis, qui est d’argent pur, et de la
voûte duquel pendent les étoiles dont chacune renferme
un ange qui la garde, un vieillard l’embrasse
en l’appelant son fils. Ce vieillard est Adam qui,
comme le soleil, homme du ciel, et comme l’homme,
soleil de la terre, est environné d’anges, astres ou
hommes, de rayons de toutes couleurs, d’objets et
d’êtres de toutes formes. Parmi ceux-ci brille un
coq blanc comme la neige, dont la fonction est d’égayer
l’Eternel par des chants qui annoncent aux
hommes les différentes heures du temps hébraïque
(Galil) dont cet oiseau Gaulois fait son nom latin
Gallus. — Au deuxième ciel, il trouve Noé qui le
reçoit dans ses bras, comme l’espace, carène du
vaisseau du monde, reçoit dans son arche Sem,
Cham et Japhet, comme le lis inférieur, l’Hypo-crène,
vase ou coupe de l’Antipode, reçoit dans son calice
la lune, le soleil et la terre.-—Au troisièrpe ciel, il
voit un ange d’une hauteur démesurée, ayant sous
ses ordres cent mille anges plus forts que cent
mille bataillons, et si grands, que de son oeil droit
à son oeil gauche, il y a soixante-dix mille lieues de
chemin, c’est-à-dire en retranchant les zéros de la
sagesse, juste la distance de lieues et de temps que
franchissent les soixante-dix éléments temporels de
l’année. Aussi cet ange, comme le temps aveugle
dont il est l’expression, est-il occupé à calculer les
jours des hommes. — Au quatrième ciel, ciel d’argent
fin et transparent comme le verre, Hen-och,
océan astral qui, comme Atlas, porte sur son dos le
jour du monde, est ravi de te voir, comme la nuit
sidérale semble ravie de fixer les regards de ses
yeux, les yeux de ses astres sur la terre de l’homme,
et comme l’homme de la terre est réellement ravi
de fixer le regard de ses yeux sur les étoiles du
Ciel, sur le paon d’Héno-chia. — Au cinquième
ciel, qui est d’or pur comme le disque du soleil,
Aaron l’embrasse et le présente à Moïse dont il est
le bras droit, comme Arjun est aux Indes le bras
droit de Chris’ten, comme en Grèce, Patrocle est
récuyer d’Achille, comme l’orient du jour, comme
le soleil d’Ares ou de mars, équinoxe du printemps
et orient de l’année, est le bras droit et l’écuyer du
soleil de juin, Ach-iMeus, lion du solstice et de la canicule,
midi de l’année. — Au sixième ciel, Moïse
pleure avec lui à l’idée qu’il amènera plus d’Arabes
au paradis qu’il n’y a fait entrer d’Hébreux,
comme le moins savant pleure à l’idée que plus savant
que lui a fait entrer plus d’ignorants dans la
lumière de la science ; il eût voulu l’embrasser, mais
il est emporté soudain au septième ciel.
Ce septième ciel, merah ou harem, sanctuaire ou
chambre d’Allah, n’est autre chose que le meru
des Indes, le meros de la Grèce , cette partie du
monde, cu-meru indien et ca-maras grec, qui exprime
le nord, cette partie du jour qui exprime la
nuit, cette partie du mois que l’on appelle sevennight
ou semaine , c’est-à-dire le temps des sept
nuits de l’aphanisme lunaire au temps des solstices,
vaste et morne océan, morose et vaste mer
océan et mer infinis, dont on a fait la cuisse ou meros
d’Ekummesa et de Jupiter, d^Ahrah^am et de Jak-ob,
parce qu’il est cette partie ou meros infiniment
haute et cachée du ciel, où tout murmure s’éteint,
où la discorde et la confusion se confondent, d’où
sortent Bacchus et Jason, splendeur et lumière du
soleil, et où s’enferme son signe, son semblable,
Sémélée, la lune. C’est pourquoi, tant ce ciel, merah
ou harem, est plein, comme une mer, de la lumière
dont il est formé, Ahmed n’en peut décrire
ni la richesse, ni la splendeur.
Le premier habitant qui y frappe ses regards a
soixante-dix mille tètes, chaque tête soixante-dix
mille bouches, chaque bouche soixante-dix mille
langues parlant chacune clairement et à la fois
soixante-dix mille idiomes différents à la louange
de Dieu, car celui-là est l’année qui vient de s’accomplir,
et dont les soixante-dix éléments temporels
sont les vingt-quatre heures du jour, les deux
temps de jour et de nuit des quatre saisons, qui
font les vingt-huit jours du mois et les douze
mois de l’année lunaire , thèse-prôtie ou thèse
première de l’Epire et de la Palestine, des Eubéiens
de Salamine et des Ebusiens de Salomon.
C’est pourquoi, arrivé au pied du cédrat immortel,
il voit brûler quatorze cierges, comme dans le
ciel brûlent et les sept lunes des nuits et les sept
soleils des jours de la semaine , principes des
soixante-dix éléments temporels de l’année, et les
feuilles de cet arbre de la science, douées de vertus
analogues à celles du satara indien, du minki chinois,
de Yoman des Perses, du persée d’Egypte, du
pommier de l’Eden hébraïque et de l’arbre aux
douze fruits de l’Apocalypse de saint Jean, suffisent,
comme celles-ci, à nourrir pendant un jour
toutes les créatures du monde; car elles sont les
jours du temps, dont les douze fruits sont les douze
mois qui font l’anneau des années et des siècles.
Aussi est-ce du pied de cet arbre , comme du pied
de l’arbre de Budda, que sortent quatre fleuves,
deux pour le paradis (le nord et le sud) et deux pour
la terre (l’est et l’ouest) dont la croix, en coupant
l’année en quatre saisons, fait cette lumière des
quatre temps du monde, que le soleil porte éternellement
sur son dos autour de la terre.
Ici, Gabri-el le quitte, car le soleil s’est couché,
et Rapha-ël, soleil d’occident, l’a remplacé
dans sa course anti-opique. Il le conduit à la maison
divine, où se rassemblent chaque jour les soixante-dix
mille anges ou soixante-dix éléments temporels
de l’année. Cette maison ressemble au temple
de Mekke , et si elle tombait directement du ciel,
elle poserait sur la Caba , comme le zodiaque ,
manse des mois que mesure la lune, poserait infailliblement
sur la terre cubique, sur le cube carré
de Cybèle, s’il y tombait en ligne droite; car, selon
les idées antiques de l’Orient, la terre, aria ou ard,
artz ou aretz et cherso ou herlh-um, était le lieu
élevé, l’autel, alt-ar ou ara alla, pode ou pied de
la lumière; et l’intérieur de la Caba, cabane carrée
ou maison cubique de Cybèle, était le haram
ou harem, le sanctuaire ou la chambre obscure,
profonde, mystérieuse, où le sage cachait la
cabale indo-médique que les Arabes, comme les Hébreux,
avaient reçue de Bale et de Cabûl par tradition.
Arrivé là, l’ange lui présenta trois coupes, l’une
de vin, l’autre de lait, la troisième de miel. Ces
trois coupes , images des trois zones du ciel, dont
Yamas ou l’ensemble fait l’ama-zône de la Grèce, la
iré-zène de l’Attique et de la Thessalie, la troï-tza
des Slaves, la tri-murti des Indes, l’utchu-san des
Chinois, le tris-mégiste de l’Egypte et la trinitédes
chrétiens, c’est-à-dire le très-haut ou trois fois haut
de tous les temps et de tous les peuples, ces trois
coupes, dis-je, sont ces trois parties, Moirai ou Maria,
célestes, ces trois parques, Moirai, de l’univers,
que se partagent les trois grands dieux d’Homère,
Siva, Brahraa, Visnu, inconnus des Grecs. L’une
est cette mer de lumière diurne ou solaire, dont le
soleil, Siva ou Bélus, Bacchus ou Pan, mûrit le blé
et le raisin et change en pain le blé de Bélus et en
vin la sève de Siva, l’eau de la vigne, le sang de la
grappe ; l’autre est cette mer de lumière nocturne ou
lunaire, dont la vache et la lune, io et iseth, donne
l’une le lait et l’autre sème le blé {sitos) ; la troisième
est cette mer de lumière sidérale ou astrale dont
les étoiles, abeilles des cieux, font la science,
miel des hommes. Or, comme , pour fonder l’égalité,
Ahmed doit mettre un mors à la licence
de l’esprit et du coeur, c’est la coupe de lait qu’il
choisit , parce que c’est en elle que la lune
satwa , type indien de toute perfection et de la
suffisance de soi-même, établit l’égalité de temps
chez les astres et l’égalité d’àme chez les hommes.
Ce sont ces trois coupes, vases ou calices des cieux,
ce sont ces trois cieux, mers ou Maria, de la lumière
du monde, dont deux sont de lumière pure
et une noire comme la nuit, qu’il doit traverser
pour arriver jusqu’à Dieu et en dévoiler l’unité aux
hommes; comme c’est sa mère Éthra, la mer éthérée,
que Jason, lumière solsticiale de décembre,
doit pénétrer, grossir et percer pour arriver à l’équinoxe
du bélier de mars et montrer aux hommes
leur égalité; comme c’est Marie, mer céleste, que
JÉSUS, ce lion dit l’agneau, doit pénétrer, enceindre
et éclairer le 25 décembre au solstice d’hiver,
pour être Noël et Léon, pour naître nouveau Dieu,
ce nouveau soleil (no-vus El-ios) qui, par l’agneau
pascal de l’équinoxe arrivé au lion du solstice d’été,
doit dévoiler aux hommes qu’il n’est qu’un Dieu et
qu’il ne faut adorer que lui seul. «C’est pourquoi,
dit-il, « quand la nuit eut environné l’atmo-sphère
de ses ombres, Abrah-am, voyant une étoile, s’é-
cria : Voilà mon Dieu! Mais l’étoile ayant disparu,
il dit alors : Je n’aime pas ceux qui disparaissent ;
puis, voyant la lune se lever, il dit : Voilà mon
Dieu I Mais lorsqu’elle se coucha, il s’écria : Si mon
Seigneur ne m’avait dirigé, je me serais égaré.
Enfin, voyant le soleil se lever, il dit : Celui-ci
est mon Dieu, celui-ci est bien plus grand; mais
lorsque le soleil se coucha, il s’écria : O mon peuple!
je suis innocent de cette idolâtrie que tu professes (1).»
Et c’est ainsi que par cette allégorie
des trois coupes ou zones du ciel sidéral, lunaire
et solaire, Mohamed détruit toute trinité et conclut à
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(1) Coran, ch. 4, y. 36, 77, 78.
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l’unité de Dieu, un et unique comme l’univers des
deux vers ou côtés du monde, un et unique comme
l’ama-zône, ensemble ou amas des trois zones de
l’univers.
A la vue de ce Dieu un et unique, éternel et infini,
il s’effraie et tremble; mais une voix lui criant :
« Avance! » il avance; et alors, comme saint Jean
avait entendu l’ange qu’il voulait adorer lui dire :
« Lève-toi et n’adore que Dieu, » il entend, lui
aussi, une voix qui aussi lui dit :
« Il n’est pas d’autre Dieu que Dieu, et Mohamed est son prophète. »
Alors, après avoir parlé mentalement à Dieu,
comme Dieu parle lui-même spirituellement aux
hommes, car il sait « qu’il n’est point donné à
a l’homme que Dieu lui adresse la parole; que, s’il
le fait, c’est par inspiration et à travers un voile,»
par l’inspiration qui naît de la contemplation de ses
oeuvres et à travers le voile du silence que pénètre
l’entendement de l’esprit, alors, dis-je, Ahmed
rejoint Gabriel, descend avec lui les sept cieux et
arrive avec lui à Jérusalem ; quand il a ainsi établi
son année sacrée, l’échelle de la lumière se repliant
dans la voûte des cieux et la nuit tombant
sur la terre, il regagne sa monture, qui le ramène
où elle l’avait pris; car l’année est un anneau, un
cercle où celui qui le décrit doit infailliblement revenir
au point d’où il est parti.
Et chacun a compris que cette ascension n’est
pas plus un songe que l’Apocalypse n’est un rêve,
mais que l’une et l’autre ils sont la voyance d’astronomes
qui, après avoir observé les astres pour
en déduire la régularité du temps, donnent à leurs
observations les couleurs de la poésie, les revêtent
du manteau de l’allégorie et en font une vision pour
en faire un horoscope qui annonce aux hommes
la nécessité de rentrer dans la régularité de la vie.
C’est ainsi qu’après avoir mesuré et pesé, calculé
et réglé le temps avec le mekias de Médée, c’est-à-dire
avec la mesure de la lune, avec la règle, verge
ou baguette de cette antique Made-leine, de cette
magicienne de Médie, dont les villes saintes en ces
contrées sont Mekke et Médine, Ahmed prit le nom
que l’ange lui avait donné, que son bon sens lui
avait composé du nom syncopé de ces deux villes,
et s’intitula MOHAMED le Glorifié, ou, pour l’hébreu,
Mo-amèd le Juste, parce qu’au fond de sa solitude
il avait parfaitement établi l’année sur la justesse
du poids et de la mesure des astres et la société
sur la justice du poids et de la mesure des hommes.
En effet, Ahmed le Glorieux, ce periclytos annoncé
par saint Jean, ce Mo-amed, glorifié ou juste,
ce prophète illettré (4), cet homme instruit (5i) était
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(1) Coran, ch. 7, v. 156.
(2) Coran, ch. 16, v. 105.
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réellement Mus-tafa, c’est-à-dire l’élu des mystérieux
destins (mys-fata), qui devait établir la justesse
et la justice du poids et de la mesure, du
concubinage et du mariage, de la polygamie et de
la monogamie, de l’esclavage et de la maîtrise, de
la fatalité et de la providence, de la tempérance et
de l’excès, de l’eau et du vin, de la miséricorde et
du châtiment, du salut et de la mort. « C’est pourquoi
dit-il, Dieu a élevé le ciel et y a établi la
balance, afin que vous ne fraudiez point dans le
poids (1). Remplissez la mesure et pesez au poids
juste ; pesez juste et ne faites pas perdre la
balance (2). »
Lors donc que le soleil d’Orient, le dieu des Guèbres,
Gabri-el, verbe de Dieu, lui eut annoncé la
mission que lui imposaient son intelligence et son
coeur en le saluant du titre d’apôtre de l’Eternel,
de même qu’il avait annoncé à Marie qu’elle enfanterait
le Sauveur, et lorsque encore il eut reconnu
dans cette voix , qui l’appelait prophète , celle-là
môme qui avait dit à Jean : Prophétise! l’élu glorieux
des mystérieux destins , Ahmed-Mustafa-
MOHAMED, sort de sa solitude, rentre dans Mekke,
visite la Câba, et, pour détruire l’idolâtrie, anéantir
le mensonge et fonder I’Islam, fait briser les
trois cent soixante statues qui l’entourent, sans en
—————————————————
(1) Coran, ch. 55, v. 6, 7,153,
(2) Coran, ch. 26, v. 220.
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épargner aucune, pas même celle d’Abraham et
d’Ismaël, car l’ Islam rejette tout symbole, tout emblème,
toute figure, toute image pouvant conduire
à l’idolâtrie, « et le musulman doit se mettre en
garde contre l’allégorie des poètes, qui, la plupart,
mentent aux hommes qu’ils égarent, qui
suivent toutes les routes comme des insensés et
disent ce qu’ils ne font pas. »
Si, par religion, on entend un ensemble de dogmes
et de mystères que l’imagination de la ruse impose
à la faible raison des simples pour les asservir,
l’ISLAM n’est point une religion; mais si, par religion,
l’on entend un ensemble de préceptes moraux
et politiques que le bon sens delà raison impose à
la force des passions pour établir, équilibrer et maintenir
l’harmonie sociale, non-seulement l’islam est
une religion , mais, fondée sur le poids et la mesure
des choses, sur la fraternité et l’égalité des
hommes, sans idole comme sans prêtre, sans autre
maître ou césar que Dieu, elle est la philosophie la
plus religieuse, la religion la plus philosophique,
le lien moral et politique le plus également fait et
le plus fraternellement serré qu’aient eu jamais les
hommes, et assurément le plus capable de les pousser
dans la voie du progrès, sans: crainte de s’y voir
arrêtés indéfiniment par la superstition et les préjugés
du sacerdoce; car non-seulement son Coran,
livre ou bible, confirme l’Evangile et le Pentateuque,
mais il renferme en lui-même ses propres correctifs,
tous ceux que le progrès de l’esprit a droit
d’exiger des progrès du temps.
C’est parce qu’il le sait que Mohamed se présente
aux hommes avec sincérité et franchise, et que,
pour leur parler, il n’a besoin ni de s’envelopper
d’un voile, ni de se couvrir d’un mythe. Inspiré de
Dieu, il le dit aux hommes, mais il leur dit aussi :
« Ne vous nommez pas d’après moi, comme les
chrétiens se nomment d’après le fils de Marie ; je
ne suis qu’un homme, et cependant j’ai reçu la
dévoilation qu’il n’y a qu’un Dieu. Ma parole n’est
ni celle du poëte, ni celle du sage (1), révélant
ou revoilant ce qui leur a été dévélé ou dévoilé ;
elle est la dévoilaiion du maître de l’univers (2);
et ceux-là n’apprécient pas Dieu, comme il le mérite,
qui disent : Il n’a rien dévoilé à l’homme (3).
Quoi donc ! ne fait-il pas poindre l’aurore, n’établit-il
pas le jour pour le travail, la nuit pour le
repos, le soleil et la lune pour le comput du
temps (4). » Puis, pour donner suffisamment à
—————————————————
(1) Coran, ch. 59, v. 42, 43.
(2)Coran, ch. 6, Y. 91,96.
(3) Coran, ch. 3, v. 487.
(4) Coran, ch. 10, v. 46.
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entendre que Dieu ne révèle ou revoile et ne dévèle
ou dévoile que le jour par la nuit, la nuit par le
jour, et que, par l’étude du jour et de la nuit, l’intelligence
de l’homme lui dévèle ou dévoile les vérités
du ciel dont il fait la science de la terre. « Dans
la création des cieux et de la terre, dit-il, dans
l’alternation des jours et des nuits, il y a sans
doute des signes pour les hommes doués d’intelligence (1).
Dieu a établi au ciel les signes
zodiacaux et les a divisés par ordre pour ceux qui
a regardent (2) ; il a dressé au-dessus de nos têtes
le mont Sinaï ( la voûte des signes, le dôme des astres, signes
du mois) -comme un ombrage (3). Il y a placé les signes zodiacaux; il y a
suspendu le soleil et la lune qui éclairent; il y a
établi des stations pour la lune, au point qu’elle
devient semblable à une vieille branche de palmier,
(produisant, comme l’arbre de l’Apocalypse, douze
fruits par an, un par mois, c’est-à-dire l’année); il
a déterminé les phases de la lune, afin de compter
le nombre des années et leur comput; il a fait
du ciel une voûte solidement construite, et
cependant les hommes se détournent des miracles,
—————————————————
(1) Coran, ch. 2, v.7, 60,70.
(2) Coran, ch. ^0, v. 39.
(3) Coran, ch. 22, t. 33.
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(disques célestes) qu’elle renferme (1). Il n’a
point établi tout cela en vain, mais dans un but
précieux; il explique les signes à ceux qui les
comprennent (1) (aux astronomes). Le nombre des
mois est de douze devant Dieu ; tel il est dans le
(monde du temps, dans le temps du monde) livre
de Dieu depuis le jour où il créa les cieux et la
terre ; quatre de ces mois sont sacrés (les deux
des solstices et les deux des équinoxes), telle est
la croyance constante. Dieu a donné le soleil
pour la lumière et la lune pour la lucidité (1). »
Or, Dieu est la lumière et la lucidité, Allah, qui
fait de I’islam, la grande lumière, la lumière unique
et égale du ciel et de la terre, du jour et de la nuit,
des astres et des hommes. Cette lucidité lumineuse,
cette lumière lucide est comme un flambeau placé
dans du cristal , semblable à une étoile brillante ;
c’est lumière sur lumière (2). C’est pourquoi
l’ISLAM est la lumière grande, unique et égale des années
du temps que mesure Isma-el dans Abrah-am,
la lune dans l’atmo-sphère; et le cycle de soixante
ans, dont les soixante Soliman ou Salomon sont les
génies annuels, fait le selam ou salut de ceux qui,
y croyant parce qu’ils la voient et la sachant parce
qu’ils la comprennent, se remettent avec résignation
entre les mains de Dieu, et, par ce fait, deviennent
—————————————————
(1) Coran, ch. 38, v. 45.
(2) Coran, ch. 40, v. i.
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musulmans. Ainsi est musulman celui-là
qui , résigné à cette lumière égale et unique du
temps, résultat de la lucidité harmonique des astres,
l’est également à cet esprit égalitaire et fraternel
de l’humanité, résultat de l’intelligence morale
des hommes. Est musulman celui-là qui se fait
un principe absolu de l’unité des hommes et de l’unité
de Dieu, l’humanité étant toute la raison spirituelle
et intellectuelle de la terre, comme Dieu est
toute la raison lumineuse et lucide du monde. C’est
pourquoi la lumière et la lucidité composent le nom
d’Allah, car Dieu, Théos ou Thevs, Devas ou Divus,
Deus ou Dies, est le jour ou le tour de la lumière
et de la lucidité éternelles des trois coupes
du ciel, des trois zones de l’ama-zône, des deux
vers de l’univers, ce que l’orthodoxie des tczars exprime
par ce signe cabalistique a afin de faire comprendre
aux intelligents, le triangle étant un delta
et le delta grec un D latin, que le signe du saint
nom de Jésus n’est réellement autre que celui du
jour, DiES.
« C’est ainsi que Dieu a fait de Jésus et de Marie
un signe pour les hommes; il leur a donné à tous
deux pour demeure un lieu élevé, sûr et abondant
en sources d’eau (1). » Ce lieu élevé est la mer
infinie du ciel nocturne, qui conçoit ou enceint, qui
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(1) Coran, ch. 22, v. 52.
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met au jour ou enfante la lumière dont elle est
grosse, et d’où, à l’aube, orient du matin, et au
solstice d’hiver, aube de l’année, sort et naît, pour
arriver jusqu’à nous, la lumière Aïsa ou Jésus l’illustre
en ce monde et dans l’autre, c’est-à-dire sur
le pode et sur l’antipode. Oui , c’est parce qu’il
sait que le christianisme n’est qu’un mythe, c’est
parce qu’il sait que le monde est le temple de Dieu
que l’orient est la bouche de l’aurore et la porte du
jour, que le ciel est le mur ou l’enceinle azurée, la
mer ou l’océan céruleux, d’où naît la lumière du
jour, que Mohamed dit de Marie ; « Comme elle se
retira de sa famille et alla du côté de l’est du
temple, elle se couvrit d’un voile qui la déroba
aux regards, et Dieu lui ayant promis un fils,
elle devint grosse de l’enfant , et, pour parler le
langage de la vérité, c’était Jésus, fils de Marie (1),
comme, aux Indes, Isa est fils de Maha Maria;
et la céleste vierge Thasile est sa thèse, au 24
décembre, comme l’Erigone des Grecs, la céleste
vierge Thasi, était en Thessalie la thèse de
Jason. »
Il n’est donc pas étonnant, les Grecs accusant les
Juifs d’avoir crucifié Jésus, et les Juifs en rejetant
la honte sur les Romains, qu’il cherche à les concilier,
disant : « Jésus n’a pas été crucifié, un homme
a été mis à sa place. »
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(1) Coran, chap. 4, v. 156.
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En effet, venu six cents ans après l’établissement
de ce mythe indien en Occident, et conséquemment
trop tard pour oser se permettre de révoquer en
doute la réalité humaine de Jésus, s’il l’accepte au
contraire, parce que sous ce nom se cache celui
de cet aïsa, c’est-à-dire de cet homme, de ce juste,
dont l’Evangile est l’oeuvre et qui a dit : « Je suis
venu au milieu de vous, et vous ne m’avez pas
connu, » c’est afin de pouvoir nier avec plus de
raison sa réalité divine, car il sait que Jésus n’est
ni homme-Dieu, ni Dieu-homme, mais seulement
la lumière, la lumière vraie et vraie lumière qui
éclaire tout homme venant en ce monde , la lumière
du monde et l’intelligence de la terre, la
lumière des astres et l’intelligence de l’humanité
, la lumière du soleil et l’intelligence de
l’homme; et il a la lumière de vie, car il sait que
celte lumière ne naît et ne meurt que de la naissance
et de la mort apparentes du soleil, au solstice
d’hiver, quand le jour grandit ou naît; à l’équinoxe
du printemps, quand meurt le jour d’Ahriman
et que ressuscite le jour d’Ormuzd; car il
sait que cette intelligence ne naît et ne meurt que
de la mort réelle de l’homme, et que déifier Jésius-
Christ, c’est déifier à la fois et la lumière du soleil
et l’intelligence de Jules César
C’est pourquoi, rejetant toute idolâtrie, celle des
doctes et des puissants, qui font leurs dieux des
astres, et celle des simples et des faibles, qui font
leurs astres et leurs dieux des puissants et des doctes,
il fait appel à la sincérité des hommes et leur
dit : « Il est des hommes qui disent : Nous croyons
en Dieu, et cependant ils ne sont pas croyants;
ce sont ceux qui ont acheté l’erreur avec la monnaie
de la vérité; ne revêtez donc point la robe
du mensonge, ne cachez point la vérité quand
vous la connaissez; qui donc est plus coupable
que celui qui cache la vérité, dont Dieu l’a fait
dépositaire; ceux qui ont reçu les Ecritures
connaissent l’apôtre, mais la plupart cachent la vérité
qu’ils connaissent (1). »
Ceux-là sont les sages, sorciers ou devins, « qui,
a selon Salomon, cachent ce qu’ils savent » en couvrant
l’évidence de la saie de la sagesse, la science
de la sagacité de l’allégorie, la vérité de la sague
du mensonge, et qui, selon Paul, « ont changé la
vérité de Dieu en chose fausse et la gloire de Dieu
(Hercule) en images d’hommes , de bêtes et de
serpents » en zodiaque. C’est à tous ceux-là que
MOHAMED s’adresse en ces termes pour les ramener
à la vérité : « Ovous qui avez reçu les Ecritures,
« pourquoi revêtez-vous la vérité de là robe du
mensonge, pourquoi la cachez-vous? Vous qui la con-
naissez, vous qui avez reçu les Ecritures, ne dites
—————————————————
(1) Coran, ch. 2, v 8, 15, 39, 134, 441.
—————————————————
que ce qui est vrai : « Le Messie, Jésus, fils de
Marie , est l’apôtre de Dieu , son esprit et son
verbe; croyez donc en Dieu et en son apôtre,
mais ne dites pas : Il y a Trinité ; Dieu est mon
témoin contre vous; il m’a donné le Coran afin
que je vous avertisse, et je suis innocent de ce
que vous lui associez. » Enfin, ne trouvant pas
de meilleures armes contre ces faux chrétiens que
les paroles mêmes de Jésus, il leur dit : « Le jour
où il rassemblera ses apôtres, il demandera à Jésus,
fils de Marie : As-tu jamais dit aux hommes :
« Prenez pour Dieux moi et ma mère plutôt que le
Dieu unique? et Jésus répondra : Par ta gloire,
non! Comment aurais-je pu dire ce qui est faux ;
je ne leur ai dit que ce que tu m’as ordonné :
« Adorez Dieu, mon seigneur et le vôtre (1),» et en
cela il était d’accord avec les plus grands docteurs
de l’Eglise chrétienne.
En effet, dit Lactance (2), il n’y a pas de doute
que toute religion pèche là où le culte admet les
images. Il est expressément défendu aux chrétiens
de faire aucune représentation de ce qui est
sur terre, au ciel et dans son sein (3) ; il leur est
expressément défendu d’avoir des peintures
—————————————————
(1) Coran, ch. 3, v. 64; — ch. 4, v. 169; — ch. 6, v. 19;
— ch. 5, V. H6.
(2) Div. Inst., liv. 2, ch. \9, p. 185.
(3) Saint Clément.
—————————————————
dans les lieux de prière et d’assemblée (1).» D’ailleurs,
les premiers chrétiens disaient hautement :
« Nous n’adorons pas Jésus, nous l’admirons (2);
« nous n’adorons pas la croix, nous ne devons pas
même en avoir de représentation (3), car Jésus
enseigne qu’il n’est qu’un Dieu, qu’il ne faut adorer
que lui, et jamais il ne s’est appelé Dieu lui-même. »
C’est qu’effectivement Jésus est le chef des anges,
comme le soleil est le chef des astres; c’est
que Jésus est la lumière dont Christ est la personnification,
comme la lumière est Jésus, dont le soleil
est l’image ; comme l’intelligence est l’homme,
dont l’image est le soleil et dont la déification est
Christ; c’est pourquoi Epiphane brisait les images
de Jésus et des saints qu’il trouvait exposées aux
murailles des églises, et c’est aussi pourquoi, au
temps du pape Léon, les chrétiens adoraient le soleil,
c’est-à-dire se tournaient « ad Horum, » vers
Horus, « ad orientem, » vers l’orient, avant d’entrer
dans le temple, ce à quoi Tertullien ne voyait
rien que de fort raisonnable (4).
Après avoir ainsi battu ces faux chrétiens avec
—————————————————–
(1) Concile d’Elvire.
(2) Lactance.’
(3) Origène, de Principio, liv. <, ch. 4, n » 8, p. 53.
(4) Saint Léon, serm. 33, ch. 4, p. 87.
—————————————————–
leurs propres armes, aussi plein d’estime pour ceux
qui, croyant à l’humanité réelle de Jésus, ne le considèrent
que comme apôtre, afin de rester fidèles à
sa doctrine, que plein de mépris pour ceux qui
,
affirmant sa divinité, le tiennent pour fils de Dieu,
il s’écriait : « Infidèle est celui qui dit : Dieu c’est
le Messie, Jésus, fils de Marie ; infidèle est celui
qui dit : Dieu est un troisième de la Trinité, car
il n’est pas d’autre Dieu que Dieu, car Dieu seul
est Dieu , il est le seul Dieu, le Dieu unique. »
Et, s’adressant aux gens des Ecritures, chrétiens
et juifs :« Convenons donc, leur disait-il, que nous
n’adorerons qu’un seul Dieu et que nous ne lui
associerons personne, et le repentir entrera dans
le coeur de ceux qui lui ant associé des divinités
personnelles, des personnes divines (1). »
D’ailleurs, prophète illettré, mais homme instruit,
c’est-à-dire s’en rapportant plus à l’esprit
qu’à la lettre, voici en quels termes de bienveillance
il répondait à l’intolérance de l’orthodoxie
des tczars (2) : « Si tu entres en discussion avec
les infidèles, fais-le de la manière la plus honnête,
car ton Seigneur connaît le mieux ceux qui
dévient de son sentier de ceux qui suivent le droit
————————————————–
(1) Coran, ch. 2, v. i9, 76, 77, 78, 256; — ch, 4, v. 57,114.
(2) Coran, ch. 46, v. 424; — ch. 33, v. 47; — ch. 5,
V. 73; — ch. 2, V. 65; —ch. 14, V. 33.
————————————————–
chemin. N’écoute ni les infidèles, ni les hypocrites,
mais ne les opprime pas ; car quiconque,
juif, sabéen, chrétien, croit en Dieu et pratique
la vertu, sera exempt de toute affliction; quiconque
observe les vérités du Pentateuque, de
l’Evangile et du Coran jouira des biens semés sous
ses pas et au-dessus de sa tête; quiconque croit
en Dieu et pratique les bonnes oeuvres recevra
la récompense de son Seigneur. Aussi ne dis-je
pas de ceux que vos yeux regardent avec mépris :
Dieu ne leur accordera aucun bienfait
,
« Dieu sait le mieux ce qui est au fond de leur
nature; si je disais cela, je serais au nombre des
méchants; mais je suis venu pour commander le
bien aux hommes, leur interdire le mal et les
appeler dans le sentier de Dieu par la sincérité de
douces admonitions. C’est pourquoi je leur dis :
« Ne faites point de contorsions avec votre bouche
par dédain pour les hommes, que votre démarche
ne soit point orgueilleuse; car Dieu n’aime
ni les présomptueux, ni les vaniteux. Si quelqu’un
vous salue, rendez lui le salut plus honnête
encore, ou du moins rendez-lui le salut; n’affectez
pas le luxe des temps de l’ignorance, soyez
impartiaux entre croyants ; car tous les croyants
sont frères, et aucun de vous n’a la foi tant qu’il
n’aime pas ses frères. Faire du bien aux orphelins
est une belle action; si vous vivez avec eux,
regardez-les comme vos frères. Tenez une belle
conduite avec vos pères, vos mères, vos proches,
les orphelins et les pauvres. N’ayez que des
conseils de bonté pour tous les hommes, une parole
honnête; l’oubli des offenses vaut mieux qu’une
aumône suivie d’un mauvais procédé. Ne dissipez
pas vos richesses en dépenses inutiles; ne les
portez pas non plus aux juges, dans le but de
conserver injustement le bien d’autrui. N’entrez
pas dans une maison étrangère, sans en demander
la permission et sans saluer ceux qui l’habitent.
S’il n’y a personne, n’entrez pas, et si l’on
vous dit : Retirez-vous! partez, et vous en serez
plus purs. D’ailleurs , sachez-le, quiconque aura
volontairement tué un homme sera regardé
comme le meurtrier du genre humain, et de même
quiconque aura spontanément rendu la vie à un
homme sera regardé comme le sauveur du genre
humain (1). »
C’est ainsi qu’en reliant les hommes entre eux par
le sentiment profond de la bienveillance, de la modestie,
de la fraternité, de la grâce , dans le don de
charité, il établit sa religion; c’est ainsi qu’il fonde
cette politesse exquise dont l’Occident a puisé le
————————————————–
(1) Coran, ch. 16, v. 156; — ch. 31, v. 17; — ch. 14,
v. 83; — ch. 33, v. 33; —ch. 49, v. 9, 10; — ch. 2, v. 18,
65; — ch. 24, v. 27, 28 ; — ch. 5, v. 35.
————————————————–
premier sentiment dans les croisades, que les Arabes
ont importée avec eux en Espagne, et qui, par
l’Espagne, où longtemps elle a régné, est venue
s’intrôner en France, pour de là rayonner sur l’Europe
entière; c’est ainsi qu’il sanctifie ce haut sentiment
de la liberté individuelle qui rappelle celui
de l’ancien citoyen romain, ce haut sentiment de la
valeur de l’homme, de la dignité humaine, dont
étaient si pleins les Romains et dont, à l’exception
des Anglais, tous les peuples de l’Europe sont à
peu près si vides aujourd’hui; enfin, c’est ainsi qu’il
consacre l’inviolabilité du domicile, de ce premier
asile, de ce dernier refuge, droit absolu de l’homme,
dont nos lois font si peu de cas et que notre arbitraire
se fait si souvent un jeu de violer.
D’ailleurs, rencontrait-il trop d’opiniâtreté chez
les chrétiens, avec lesquels il entrait en discussion
au sujet de Dieu, leur Seigneur et le sien ; il les
congédiait ou en prenait congé en leur disant :
« Nous avons nos oeuvres, vous avez les vôtres;
nous sommes sincères dans notre culte (1). » Et
comme si ce n’était pas assez de tant de bienveillance,
il y mettait le sceau par ces paroles , qui
font honte à notre intolérance : « Point de con-
trainte en religion : la vraie route se distingue
assez de la voie de régarement; » car, pour lui,
———————————————-
(1) Coran, ch. 2, v. 133, 237.
———————————————-
la vertu ne consiste pas à tourner son visage vers
l’orient ou vers l’occident; vertueux sont ceux qui,
croyant en Dieu, donnent, pour l’amour de Dieu,
des secours à leurs prochains, aux orphelins, aux
pauvres, aux voyageurs, à ceux qui rachètent les
captifs, observent la prière, font l’aumône, remplissent
leurs engagements et se montrent patients
dans l’adversité (1).
Afin de porter les hommes à cette vertu et la leur
rendre facile : « Certainement, leur dit-il, l’aumôrie
approche de Dieu. — Donnez donc à chacun ce
qui lui est dû, — mais ne distribuez pas en
largesse que la partie la plus vile de vos biens ; —
« donnez l’aumône des biens que Dieu vous a
départis avant que ne vienne le jour où il ne sera
plus ni vente, ni rachat, ni amitié, ni intercession. »
Ce jour de la vengeance de Dieu, ce jour
de la vengeance du peuple, ce jour où le peuple
venge Dieu, où Dieu venge le peuple en un instant
et avec toute la rapidité de la foudre, de la misère
et de l’iniquilé des siècles. « Sachez-le donc, les
aumônes sont destinées aux indigents, aux pauvres,
à ceux qui les recueillent, à ceux dont les
coeurs ont été gagnés à I’Islam, au rachat des
esclaves, aux insolvables, aux voyageurs et à la
cause de Dieu, » c’est-à-dire à la lumière et à la
———————————————
(1) Coran, ch. 10, v. 100
———————————————
vérité qui font la science de l’homme, « et ceci est
obligatoire de par Dieu (1). »
Dociles à ces avis, fidèles à ces préceptes, mus
par la bonté naturelle du coeur et stimulés par l’espoir
de jouissances éternelles, les musulmans exercent
abondamment l’aumône avec simplicité et
droiture, fuient l’agiotage et font généralement leur
commerce sans engagements écrits, sans billets,
sans signatures, leur parole suffit. Chez eux, l’aumône
n’est pas moins grande au moral qu’au matériel;
elle est telle, et chacun en sent si bien le
devoir, qu’en aucun pays le gouvernement ne saurait
trouver plus de facilité a fonder des écoles pour
l’enfance et la jeunesse, des maisons de retraite
pour les infirmes et les vieillards, et effacer à jamais
la lèpre honteuse de la misère du corps et de
l’ignorance de l’esprit. Car I’Islam leur a profondément
gravé au fond du coeur cette maxime : Tous
pour chacun, chacun pour tous.
C’est pour qu’ils puissent la pratiquer que, non
content de leur recommander l’aumône, Mohamed
les détourne en ces termes de l’usure et de l’avarice
: « L’argent que vous donnerez à usure pour le
grossir avec le bien des autres, ne grossira pas
auprès de Dieu ; mais toute aumône que vous
ferez pour obtenir ses regards bienveillants vous
———————————————-
(1) Coran, ch. 30, v. 37 ; ch. 2, v. 269, 255.
———————————————-
sera doublée. Heureux donc qui se tient en garde
contre l’avarice ! Faites donc l’aumône dans votre
propre intérêt ; car si l’enfer doit saisir par le
crâne quiconque aura thésaurisé et se sera montré
avare, il n’en sera pas de même des hommes pieux
dans les biens desquels il y aura toujours eu
une quote-part pour les nécessiteux et les
indigents ; ceux-là qui, quoique soupirant eux-mêmes
après le repos, auront donné au voyageur, à
l’orphelin, au pauvre, au captif, disant : Nous vous
donnons ceci pour être agréable à Dieu et ne
vous en demandons nul remerciement; ceux-là,
les justes, Dieu les a préservés du malheur au
jour terrible et leur a réservé les jardins et les
vignes, les vierges et les coupes pleines du paradis,
de ce séjour de bonheur et de délices où ils
n’entendront ni discours frivoles ni mensonges.
De ce que Mohamed pose toujours comme récompense
de l’accomplissement des devoirs moraux et
hygiéniques la jouissance calme et paisible des biens
de la terre et du ciel, de ce qu’il prescrit ces devoirs
comme religieux, parce que la pureté du coeur
et la propreté du corps sont les liens qui réunissent
ses adeptes, les hommes frivoles en ont conclu qu’il
n’a pas prescrit le travail comme un devoir. Mais
ou il a voulu universaliser sa loi, et dans cette pensée
le travail étant à la fois un devoir et un droit,
il n’a pas eu besoin de le prescrire autrement qu’il
l’a fait: ou il n’a pas voulu l’universaliser, et il n’aurait
dû consacrer l’esclavage que pour procurer à
ses croyants des bras et des mains qui travaillent
pour eux. Or, on le verra, il n’a consacré l’esclavage
que pour le rendre aussi doux qu’il était barbare,
que pour faire d’un infidèle un croyant. Il a
donc voulu universaliser sa loi ; et encore qu’en
turk le même mot « quoul » exprime en effet à la fois
et le bras et le serviteur, il ne s’ensuit pas que si
le serviteur doit obéir au commandement du maître,
comme le bras à la volonté de l’homme, l’esclave
soit un bras qui doive exempter de tout travail le
bras du maître ; loin de là, cette expression unique
de deux choses différentes par un seul et même
mot indique au contraire que tout homme est à soi-même
son serviteur. D’ailleurs, c’est parce qu’il
considère le travail non-seulement comme une des
conditions d’existence de sa loi, mais même comme
la prière la plus active, que Mohamed a dit : « Dieu
a donné la nuit et le jour, tantôt pour le repos,
tantôt pour demander à sa bonté la richesse par le
travail, l’homme n’ayant rien à attendre que de
son travail. » Aussi, pour lui, « le commerçant
droit et juste est-il au rang des hommes les plus
éclairés et l’agriculteur est-il récompensé par son
Dieu (1). »
On le voit donc pour le musulman, le travail ne
déroge pas, et les plus grands hommes de leur
doctrine l’ont au contraire mis en honneur. Mohamed
raccommodait lui-même ses vêtements, et aujourd’hui
même grand nombre de musulmans, parvenus
à de hautes fonctions, prennent encore volontiers
pour nom la profession qu’ils ont d’abord exercée,
ou celle de leur père, ou celle par laquelle leurs
ancêtres se sont distingués dans le monde. Arrivé
au faîte des grandeurs, tel homme d’Etat ne rougit
pas de s’appeler : Soliman atari Salomon le droguiste,
Ibraïm yowam, Abraham le joailler, Acub
iaqoulî, Jacob le bijoutier ; car, dit Chardin, la considération
ne naît précisément chez eux que du savoir
et de l’industrie.
Ainsi, pour Mohamed, non-seulement le travail est
un devoir, mais il est le seul droit sur lequel se
fonde la légitimité de la richesse; non-seulement il
est un devoir et un droit, mais il est la prière active;
et, pour lui, travailler c’est prier. Cependant
si, pour lui, le travail est la prière, il n’oublie pas
qu’outre cette prière active, il en est une autre
toute de contemplation et de sentiment, celle de
l’esprit et du coeur : celle de l’esprit, qui glorifie,
célèbre et magnifie Dieu dans sa nature; celle du
———————————————
(1) Coran, ch. 28, v. 73. — Tradition.
———————————————
coeur, qui le remercie pour ses dons, lui rend hommage
pour ses faveurs et s’épanche en reconnaissance.
C’est pourquoi il recommande expressément
de s’acquitter de la prière, de l’accomplir exactement
et de craindre Dieu, vu que c’est devant
lui que nous serons tous assemblés (1). » C’est
pourquoi la prière n’est nulle part plus exactement
accomplie qu’en Islam. Elle y est à la fois privée et
publique, elle y affecte des formes à la fois simples
et grandioses; elle y est plutôt une magnificalion
qu’une supplique, une glorification qu’une demande,
et l’on peut dire que si le chrétien prie Dieu par
intérêt, pour en obtenir l’accomplissement de ses
désirs, la satisfaction de ses besoins, le musulman
ne le prie que par reconnaissance, pour le remercier
de ses bienfaits. Absorbé par la contemplation
d’une doctrine qui l’entretient sans cesse avec la nature,
il y puise l’uniformité de moeurs, un sentiment
de dignité aussi haut contre les infidèles
qu’humble envers Dieu et modeste envers ses frères,
et cette heureuse égalité d’âme qui l’empêche
de trop espérer et de désespérer jamais, qui jamais
ne le laisse , pas même en ses plus beaux jours de
fête, exhaler les douceurs de sa joie en bruyants
transports d’allégresse.
Il faut donc en convenir, Mohamed a plus fait pour
———————————————-
(1) Coran, ch. 2, v. 104; — ch. 6, v. 71.
———————————————-
les Arabes que n’ont fait pour les Grecs Socrate,
Platon et Aristote. Non-seulement il a parlé, il a
écrit, mais il a agi, il a fondé ; il a fait pour les
Arabes ce qu’a fait Moïse pour les Hébreux, ce qu’a
fait pour les vrais chrétiens celui qui est venu au
milieu des hommes et que les hommes n’ont point
connu; il a soutenu, quand il l’a jugé nécessaire, sa
plume de son épée. Non-seulement il a élevé les
esprits à l’intelligence du Verbe, en leur en manifestant
la pile et la face et en les mettant ainsi à même
de distinguer le droit du faux, la mesure de l’excès,
le mieux du bien; il a rendu son oeuvre aussi immortelle
que l’humanité dont elle reflète les contrastes.
Ceux qui ne la comprennent point n’y
voient que des contradictions; ceux qui la comprennent
ne voient dans ces prétendues contradictions
que des contre-poids.
En effet, on le verra, hommes et femmes vivant
alors dans l’obscénité d’un polyconcubinage fatal
aux orphelins qui en naissent, il le restreint à la chasteté
de la polygamie, et, par amour pour les orphelins,
la réduit a la pureté de la monogamie; hommes
et femmes se livrant alors à toute l’intempérance
des orgies que le vin alimente, s’il le proscrit
comme usage habituel par crainte de l’excès, il le
tolère comme hygiène; l’esclavage, déjà barbare de
sa nature, étant devenu dur et cruel, éternel et sans
but, s’il le conserve, ne pouvant l’anéantir, il en
adoucit les rigueurs en prescrivant au maître ses
devoirs, et il lui en fait un si méritoire de l’affranchissement
qu’il le met en voie de l’abolir.
Hâtons-nous donc de le dire, pour qui se reporte
aux jours néfastes où il parut, Mohamed a servi la
civilisation au lieu de lui nuire, et, au lieu de la
faire rétrograder, il l’a mise en voie de progrès.
Partout la perversité régnait autour de lui; à l’orient
et au septentrion, les docrines symboliques
de la Perse et de l’Inde avaient divisé et abruti
les hommes; au sud, le fétichisme africain les retenait
dans les langes de la barbarie; à l’occident,
les superstitions syriaques et égyptiennes avaient
plongé les chrétiens dans l’anarchie des idées, dans
l’avilissement du caractère, dans la corruption du
coeur, dans la dégradation la plus honteuse; près
de lui, les Arabes, ses frères, pliaient servilement
la tête devant les idoles (1); partout les doctes, les
forts, les riches étaient des dieux; partout les ignorants,
les faibles, les pauvres étaient des diables
dont les dieux faisaient leur bétail. Pour enlever
tout prétexte à cette domination que les forts d’intelligence,
les rusés d’esprit, dont pourtant le
royaume n’est pas de ce monde, faisaient peser sur
les faibles et les simples, en leur promettant le
royaume des cieux en échange de celui de la terre
———————————————–
(1) Fortin d’Ivry, Revue d’Orient.
———————————————–
dont ils s’adjugeaient les jouissances et les voluptés,
ce n’est ni sur un mythe, ni sur un dogme qu’il
se base, c’est sur une réalité, un axiome; c’est sur
l’axiome réel du monde et de Dieu qu’il fonde la
réalité axiomatique de la fraternité et de l’égalilé
des hommes.
Fort de cette vérité de l’unité divine et de l’égalité
humaine, il s’en sert pour maîtriser les ignorants
et les simples qu’il éclaire et les exciter a
travailler avec lui au rachat de l’humanité. C’est
pourquoi il leur crie : Malheur aux infidèles
aux incrédules! c’est-à-dire malheur à ceux qui
n’ont pas la lumière ou qui, l’ayant, n’en font pas
usage ; et il les condamne, comme en effet ils le
sont, à l’infériorité, à la bassesse, à la soumission,
à l’obéissance; bonheur, au contraire, aux fidèles,
aux croyants ! c’est-à-dire à ceux qui regardent
pour voir et qui, voyant, croient à ce qu’ils voient
parce qu’ils le savent; et il les destine, comme en
effet ils le sont, au commandement, à la direction,
au gouvernement auxquels les appelle leur savoir,
dans l’intérêt même de ceux qui ignorent, par cette
loi de nature qui veut que le voyant guide l’aveugle,
que l’intelligent guide le simple , comme le
soleil guide tous les hommes, comme Dieu guide
tous les soleils.
Quand, malgré la sincérité de ses avertissements
et la douceur de ses admonitions, il ne trouve encore
que trop de coeurs endurcis et récalcitrants, il
comprend qu’il ne lui a point suffi d’avoir dit : « Le
Coran m’a été dévoilé pour que je vous avertisse. »
Et alors prenant en main son épée, il ajoute : « J’ai
été envoyé pour annoncer et pour menacer. Ne
combattrez-vous donc pas contre un peuple qui a
violé ses serments, qui s’efforce de chasser votre
prophète. Il est l’agresseur, le craindrez-vous? »
Et c’est ainsi qu’en accomplissant chez les idolâtres
l’anathème de Jésus sur Corozaïm et Bethsaïda,
anathème que les chrétiens n’accomplissent jamais
que sur eux-mêmes, les uns sur les autres, et par
représailles, il semble dire aux hommes : Si donc
vous ne voulez être ni menacés, ni dirigés, ni guidés,
ni gouvernés, ni commandés, éclairez l’un par
l’autre votre esprit et votre coeur de la lumière du
devoir et du droit, afin que doctes en science morale
et politique, vous puissiez vous être à vousmêmes
votre seul chef ou votre seul guide, votre
seul paire ou votre seul prêtre, votre seul roi ou
votre seul régulateur, votre seul suzerain, votre
seul souverain, votre seul maître enfin sur la terre,
car vous n’en avez qu’un qui est Dieu, le Dieu unique,
le seul Dieu, suzerain et souverain maître des
hommes et des astres, de la terre et du ciel.
C’est pour les mener là et y mener avec eux le
reste des hommes qu’il dit aux siens : « Nous vous
appellerons à marcher contre des nations puissantes,
et vous les combattrez jusqu’à ce qu’elles
embrassent I’Islam. » Et bientôt le fait suivit la
parole, et bientôt aussi des nations puissantes, mais
barbares, ouvrirent les yeux à la lumière et leurs
coeurs à I’Islam. A ce sujet, les chrétiens accusent
les musulmans d’avoir fait eux-mêmes la
guerre en barbares, d’avoir détruit les chefs-d’oeuvre
de l’antiquité païenne ; mais les chefs-d’oeuvre
de cette antiquité avaient été détruits par les chrétiens
eux-mêmes, par ceux-là qui en avaient fait leurs
noms d’iconoclastes, de briseurs d’images, et il n’en
restait que des débris; d’ailleurs, dans le culte du
Dieu unique, l’idolâtrie est le comble de l’iniquité;
et ces chefs-d’oeuvre étaient pour eux des idoles
dont ils n’avaient pas même le sens. Il n’y avait
donc pas plus de barbarie de leur part à renverser
les idoles de l’orthodoxie des tzars qu’il n’y en avait
eu aux chrétiens de renverser les idoles de l’orlhodoxie
des païens (1). Quant à l’accusation qui pèse
sur eux d’avoir brûlé la bibliothèque d’Alexandrie,
elle n’est pas moins une absurdité qu’une calomnie.
Cette ville n’en possédait que deux dont l’Europe
ait gardé souvenir, celle du palais Bruchium celle
du temple de Sérapis. La première fut incendiée,
——————————————
(1) V. Abel de Rémusat, Préface sur les langues tartares.
——————————————
l’an 46 avant notre ère, par les soldats de César,
dans la guerre contre Pompée, et celle du Sérapion
fut brûlée, l’an 389 de notre ère, par une bande de
fanatiques, a l’instigation de l’évêque Théophile,
agissant au nom de l’empereur Théodose. Si ces
deux bibliothèques ont été brûlées, l’une par les
soldats de César, l’autre par l’orthodoxie des tzars,
quelle peut donc être celle dont on attribue la perte
aux musulmans du calife Omar? Assurément il y a
ici un mensonge à la façon de Ktésias, dont tout le
monde est dupe. Ce qui est plus vrai, c’est que la
bibliothèque de Pergame, cédée par Attale III aux
Romains, l’an 620 de la République, a complètement
disparu de Rome. Si Antoine en a donné à Cléopâtre
une partie, et si cette partie a péri à Alexandrie
dans l’incendie du palais Bruchium,, où cette reine
l’avait déposée, qu’est devenu le reste? Ce que sont
devenus tous les écrits de l’art et de la science antiques,
la proie de l’ignorance fanatique et du fanatisme
incendiaire des faux chrétiens de l’orthodoxie
des tzars qui, redoutant la lumière, ont brûlé tous
les livres antérieurs dont ils redoutaient la science
et jusqu’aux plus beaux chefs-d’oeuvre de leurs ancêtres(1).
Sans doute la guerre est un mauvais moyen de
persuasion ; mais n’y a-t-il pas mauvaise grâce à
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(1) V. Ramey.
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l’orthodoxie des tzars d’en faire un reproche à
MOHAMED, quand eux-mêmes ils n’ont Jamais combattu
entre eux avec moins d’acharnement que les
musulmans n’en ont mis à les combattre? Tout
homme impartial, qui voudra bien remonter aux
premiers temps de cette orthodoxie, ne conviendrait-il
pas au contraire que la cruauté des faux chrétiens,
cette cruauté dont parle Pline, ne le cède en
rien à celle dont ils font un reproche aux musulmans?
Et, sans remonter si haut et sans aller si
loin en chercher des preuves, n’est-il pas certain
que cette cruauté ne se manifesta jamais nulle part
avec plus de fureur que dans la conversion des
Saxons, sous Charlemagne, et dans celle des Bretons
de l’Armorique, sous Pépin, son petit-fils. Que si la
guerre que fit Charlemagne aux Saxons trouve sa
justification dans son ambition de domination universelle,
il faut avouer qu’elle est un cruel non-sens
au point de vue de la fraternité du doux Evangile;
car si c’est la charité et l’amour sur les lèvres,
c’est aussi l’orgueil au front et la cupidité dans le
coeur qu’il tue sans pitié quiconque refuse de se
soumettre au joug de son orthodoxie; et c’est avec
toute la férocité des Machabées, qui défendaient
leur patrie, que les clercs chrétiens, dont la patrie
n’est qu’au Ciel, le poussent à guerroyer trente-deux
ans contre les Saxons, à les convertir par le fer et
le feu, à faire manger avec ses chiens ceux qui refusent
d’abjurer leur antique croyance et à massacrer
d’un coup, sans pitié, quatre mille cinq cents
de leurs guerriers pour intimider le reste. En sorte
que tout Saxon fût en droit de dire alors des chrétiens
francs ce qu’avait dit des Romains païens le
Breton Galgacus : « Piller, tuer, voler, s’appelle
régner dans leur langage, et là où ils ont fait la
solitude, ils disent qu’ils ont établi la paix (1)!
Ils l’avaient établi en effet, comme tout tyran là où
il domine; comme Timour à Samarkand, lorsqu’il
eut massacré les Djaï, comme Charles IX et
Louis XIV, lorsqu’ils eurent fait la Saint-Barthélémy
et les dragonnades,comme le tzar à Varsovie,
lorsqu’il eut massacré les Polonais.
Pour peu que l’on considère la différence des
temps, le progrès accompli pendant les deux cents
ans écoulés de Mohamed à Charlemagne, si l’on est
impartial, on est d’autant plus porté à trouver une
excuse pour l’inspiré de Dieu et de l’humanilé,
combattant non pour agrandir ses Etats et s’élever
un trône, mais pour étendre sa doctrine égalitaire,
dans la nécessité qu’il était de la défendre contre
l’intolérance de l’orthodoxie des tzars, qu’on l’est
moins â en trouver une pour l’inspiré du pape, qui,
n’ayant rien à craindre de l’intolérance des Saxons,
n’avait aucune raison de les combattre, et qui ne
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(1) Tacite’ vie d’Agricola, ch. 30.
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les combattit et ne les fit abjurer que pour étendre
ses Etats, fonder son trône et affermir son despotisme.
D’ailleurs, la façon dont Mohamed réglemente la
guerre prouve assez qu’il ne la regrette pas moins
que ceux qui, le plus, l’en désapprouvent. En effet,
dit-il, « vous combattrez dans la voie de Dieu
ceux qui vous font la guerre, mais vous ne commettrez
point l’injustice de les attaquer les premiers.
« —Vous les tuerez partout où vous les trouverez,
et les chasserez de partout où ils vous auront
chassés. — Vous les combattrez jusqu’à ce que
vous n’ayez plus à craindre la tentation et que
tout culte ne soit plus que celui du Dieu unique ;
mais s’ils mettent un terme à leurs attaques, alors
plus d’hostilités, si ce n’est contre les méchants (1). »
Peut-être le gouvernement turk s’est-il écarté
quelquefois de ces préceptes, mais ce n’est assurément
ni en 1821, dans sa guerre avec les Grecs,
ni en 1828, dans sa guerre avec la Russie, ni en
1854, dans la guerre qu’il poursuit avec nous contre
cette puissance toujours agressive. Enfin l’histoire
est là pour attester qu’en effet il a moins souvent
attaqué qu’il ne s’est défendu. Il est vrai qu’il
n’a pas moins été terrible pour les ennemis de sa
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(1), Coran, ch. 2, v. 83, 187, 189.
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foi que ne l’ont été ceux-ci pour leurs dissidents ;
il est vrai qu’il a couvert le sol de sa domination
comme d’une lave, mais il ne l’en a couvert que
pour conserver. En effet, si violente et irrésistible
qu’ait été cette domination, Jamais elle n’a été ni
constante, ni systématique; elle a souvent opprimé,
mais jamais elle n’a dégénéré en persécution; elle
a terrassé, mais jamais elle n’a anéanti, et toujours,
après le châtiment de la guerre, elle a accordé la
miséricorde de la paix; parce que, comme il n’est
en Islam ni classes, ni intérêts privilégiés, ni intercesseurs
auprès de Dieu, ni sacerdoce, ni pouvoir
spirituel, chacun, après la guerre, rentre dans sa
liberté de conscience et rend à son Dieu le culte
qu’il lui plaît; parce qu’il est écrit : « Dieu a effacé
les péchés de ceux qui auront émigré et auront
été chassés de leur pays, qui auront souffert dans
son sentier, qui auront combattu ou succombé. »
Lorsqu’à cette miséricorde de I’Islam après la
guerre, les peuples d’Orient, vaincus et dominés,
doivent d’avoir conservé jusqu’aujourd’hui leur foi,
leur langue, leur nationalité, comment ne pas la
trouver supérieure à celle dont se sont inspirés les
dominateurs chrétiens, chevaliers francs et teutons,
qui n’ont cessé de combattre leurs ennemis qu’après
avoir violenté leur conscience et noyé leur croyance
dans le sang. Visigoths, Ostrogoths, Suèves, Alains,
Hérules, Lombards, où êtes-vous aujourd’hui ? Le
quel d’entre vous qui, comme l’Arménien, le Servien,
le Bulgare, l’Albanais et le Roumain, peut
s’écrier : Me voici I Pas un ; car il ne reste tout au
plus de vous que le nom ; foi, langue, tradition,
éléments trinitaires de toute nationalité, en les perdant,
vous avez tout perdu, vous vous êtes perdus
vous-mêmes.
Convenons donc, une fois pour toutes, que la
guerre prêchée par le Coran, guerre défensive plutôt
qu’offensive, quoique aussi meurtrière que celle
prêchée par les bulles du pape, n’a jamais été, autant
que celle-ci, exterminatrice de ce moi collectif
qui fait d’un peuple une nation, de cette nationalité
qui fait d’une nation une famille. Convenons encore
que la guerre n’est pas la seule éloquence de I’Islam,
et que la parole de Mohamed était d’ailleurs trop persuasive
pour que son épée, qui lui vint en aide, ne
fût pas aussi magnanime. C’est du moins ce qui
semble ressortir de ces sublimes préceptes sur lesquels
sont assis les gouvernements de I’Islam : « La
tyrannie est comme un ouragan qui dévaste le
monde; le puissant ne doit donc pas tyranniser
le faible, s’il ne veut que la lumière de l’empire
ne décline. Le riche ne doit pas tyranniser le pauvre,
s’il ne veut faire de l’enfer sa demeure éternelle;
et l’ardeur du soupir brûlant que l’opprimé
pousse vers le ciel enflammerait la terre et l’eau,
s’il était l’objet du mépris et des outrages des heureux
du monde. » Convenons enfin qu’en détruisant
des chefs-d’oeuvre qui n’étaient pas les leurs,
les Arabes et les Turks se seraient montrés, en
tous cas, moins barbares que les Grecs et les Latins
qui détruisaient leurs propres ouvrages, ceux du
moins de leurs ancêtres.
Il est vrai que, naturellement indifférent à l’art
de l’orthodoxie des tzars, les Turks, au lieu d’en
rien restaurer, ont au coniraire laissé tout dépérir;
mais encore une fois, cette indifférence n’est pas du
vandalisme ; et ce vandalisme, dont on les accuse
depuis la restauration des arts et des lettres en Occident,
est réellement moins leur fait que le nôtre.
En effet, les monuments de Constantinople ont été
démolis par les Génois et les Vénitiens, par les
Français de Godefroy de Bouillon et de Beaudouin de
Flandre, et par les Grecs eux-mêmes, pour en
construire des tours, des palais, des forteresses, des
églises, pour étendre ou élever leurs murailles; si
bien que, quelle qu’elle soit aujourd’hui, Constantinople
est certainement plus belle que ne l’a trouvée
Mahomet II le 29 mai 1453 (1).
Si, suffisamment éclairé sur ce point, l’esprit des
justes demande à l’être également sur l’esclavage,
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(1) Méry, Constantinople ancienne et moderne.
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que les faux esprits ont considéré jusqu’à présent
comme un principe fondamental de l’islam, il n’a
qu’à s’assurer par lui-même de ce qui est vrai, savoir
: qu’en islam, l’esclavage ayant pour principe le
devoir du croyant envers le païen, de l’intelligent
envers la brute, de l’esprit envers la matière, diffère
essentiellement de l’esclavage consacré par l’orthodoxie
des tzars, où il est le droit de la force brutale,
de la matière sur la faible simplicité de l’esprit. En le
conservant, Mohamed le réglemente de manière à en
faire un bienfait pour le sauvage, qui, esclave des
éléments de la nature, s’en trouve affranchi par un
stage dans la servitude aux volontés d’un homme,
qui le rend apte à la vie sociale. En l’adoptant,
l’orthodoxie des tzars le réglemente de façon à en
faire le pire état de tous, le seul enfer réel auquel
n’a rien de comparable l’état de nature dans lequel
le sauvage est esclave des éléments. L’esclavage de
l’Islam a pour but de faire du bétail humain des
hommes; l’esclavage de l’orthodoxie des tzars a
pour but de faire des hommes un bétail humain ;
en ISLAM, où tous les musulmans sont frères et
égaux, l’esclavage n’est admis que pour amener à
l’égalité ceux qui n’y sont pas; en orthodoxie, où
tous les hommes sont féodalement inégaux, l’esclavage
ne s’est introduit et ne se perpétue que dans
le plus lâche intérêt, au mépris de la fraternité et
de l’égalité prêchées par l’Evangile de liberté.
L’homme né musulman ne peut être esclave d’un
musulman, et l’idolâtre devenu musulman et le fils
né musulman d’un père idolâtre ne peuvent demeurer
à jamais esclaves ; tandis que l’homme né chrétien
est l’esclave d’un chrétien, et que l’enfant, né
chrétien d’un père chrétien ou idolâtre, n’en continue
pas moins d’être esclave.
Ainsi, tandis qu’en islam l’esclavage est une nécessité
morale, un devoir philanthropique du docte
envers l’ignorant, du civilisé envers le barbare, jusqu’à
ce que le barbare ignorant devienne à son
tour docte et civilisé ; dans l’orthodoxie, l’esclavage
est une nécessité, immorale comme la prostitution,
un droit matériel du blanc sur le noir, une domination
tyrannique de la force sur la faiblesse, de la
ruse sur la simplicité, de l’oisiveté sur le travail.
Tandis que les musulmans, économes des destinées
de l’esclavage, en épargnent au moins les gens de
lois écrites, les juifs et les chrétiens, à la condition,
toutefois d’un vasselage dur et humiliant, les chrétiens,
indifférents du sort de l’esclave, ont voué à
perpétuité toute la race noire a l’esclavage, que
ceux de cette race soient et deviennent ou non
chrétiens ou musulmans , protestants ou catholiques.
D’ailleurs, en conservant l’esclavage, Mohamed
l’a établi sur des principes humains; il a mis l’esclave
sous la sauvegarde de l’humanité; il lui a fait
une position exempte d’humiliation, inférieure sans
doute, mais nullement abjecte. En sorte que si le
commandement du maître est ordinairement imposant
et parfois sévère, il est ordinairement humain
et souvent même affectueux. Oui,-dans I’islam, l’esclavage
a des formes douces et un fond plus humain
que partout ailleurs- L’esclave n’y est pas un paria
comme aux Indes , un ilote comme autrefois à
Sparte, un sigan comme chez les Roumains, un bétail
comme chez les chrétiens d’Amérique, une
chose comme tous ces serfs des chrétiens d’Europe;
il fait partie de la famille, il en peut devenir
membre. Si le maître ne doute pas plus de la soumission
de son esclave que de l’obéissance de son
fils, l’esclave, à son tour, doute moins des soins de
son maître que de la sollicitude de son père. D’ailleurs,
ni la race, ni la couleur n’a d’empire sur le
musulman; pour lui, rouges ou cuivrés, blancs ou
noirs, tous sont hommes, et tous les musulmans
sont frères et égaux, parce qu’ils sont tous dans la
lumière.
C’est pour mener tous les hommes à cette lumière
de la fraternité et de l’égalité que Mohamed a réduit
l’esclavage à une domesticité temporaire, à un apprivoisement
du barbare par le civilisé. La loi musulmane
voit un homme dans l’esclave et lui reconnaît
certains droits imprescriptibles; elle intervient
à chaque instant pour le conserver et le
défendre; elle lui reconnaît la faculté de retourner
par plusieurs voies à la liberté, soit en lui procurant
les moyens de se racheter, soit en suggérant
au patron tous les moyens de l’affranchir. Le droit
du maître sur l’esclave n’est point absolu; l’esclave
lui appartient comme homme et non comme chose;
il peut en disposer, le donner, le vendre, mais il ne
peut ni lui refuser la nourriture et le vêtement, ni
en exiger un travail au-dessus de ses forces, ni le
frapper injustement, ni moins encore le faire mourir.
La déposition de l’esclave contre son maître est
reçue en justice. L’enfant né d’une esclave et du
maître de cette esclave est libre, et la mère le devient
de droit à la mort du maître. L’affranchissement
d’une esclave enceinte entraîne naturellement
celui de l’enfant qu’elle porte dans son sein. En
fait, l’esclave est assimilé en tous points aux autres
domestiques. Plus que ceux-ci même il est
de la famille du maître, qui lui dit : mon fils,
ne l’humilie jamais à plaisir, le fait instruire
dans la loi, et qui, s’il ne lui donne point de
gages fixes, y supplée ordinairement par des largesses
qui lui permeitent d’amasser un petit pécule
et de se racheter. Est-il malade? il est soigné dans
la maison. Vieillit-il dans la maison, dédaigneux
de la liberté qui lui a été offerte? alors il est tout à
fait considéré comme de ia famille; il n’a pas
d’autre occupation que de dorloter les enfants ; il les
appelle ses deux yeux, et ceux-ci lui disent tendrement
: Papa. D’ailleurs, après un ceriain temps
de service, le maître affranchit l’esclave, le marie
et le dote pour obéir à ces paroles de Mohamed :
« Mariez les plus sages d’entre vos domestiques et
vos esclaves ; accordez à ceux d’entre eux qui sont
fidèles récrit qui assure leur liberté, et donnez-
leur une portion de vos biens. » Ce temps de
service étant chez les Turks de sept ans et de seize
ans chez les Persans, on peut affirmer que les premiers,
plus prévenants envers les désirs du prophète,
plus fidèles au Coran, plus pieux en vers Dieu,
sont conséquemment d’une humanité plus égalitaire
et plus fraternelle. C’est que, mieux que les
Persans, ils ont compris ces paroles : « Dieu a
favorisé les uns plus que les autres dans la
distribution de ses dons, mais ceux qu’il a
favorisés font-ils participer à ces biens leurs esclaves
au point qu’ils y ont tous une part égale (1)? »
Ainsi, comme on le voit, l’esclavage en Islam
n’est réellement au fond qu’une adoption assez
semblable à celle de nos jeunes détenus, et qui,
pour coûter davantage, puisque l’esclave s’achète,
n’en a pas moins son côté pieux et méritoire; il n’a
rien de ce qui fait frémir d’horreur et d’indignation
dans l’esclavage des nègres, tel que l’a conçu l’orthodoxie
des tzars ; il n’est ni viager ni héréditaire;
———————————————-
(1) Coran, ch. 73.
———————————————-
il est affranchissable et rachetable ; on peut le détruire
et il le sera, parce qu’il est dans l’esprit du
Coran qu’il le soit ; il le sera dès qu’on en aura
prohibé le trafic aux Circassiens et aux Géorgiens,
dès qu’on aura mis fin à la guerre impie qui l’alimente,
dès qu’il ne sera plus permis au pacha d’Egypte
de chasser aux esclaves dans les contrées
méridionales qui avoisinent ses États.
Quant à la castration qui fait l’eunuque, si les musulmans
en font usage, ce n’est qu’à l’imitation de
l’orthodoxie des tzars; elle peut donc être abolie
instantanément comme contraire à la nature de l’ISLAM,
à la lettre et à l’esprit du Coran; car, chose
remarquable, tandis que les apôtres de l’orthodoxie
des tzars en recommandent l’institution dans le
sens mystique du mot et donnent ainsi naissance
aux castrats de la chapelle Sixtine et aux scoptsi de
Russie, plus humain et plus moral que Paul et Mathieu,
MOHAMED a du moins eu la pudeur de n’en
pas parler (1).
Si de tout ceci l’on peut conclure, contrairement
à l’opinion de Montesquieu, que l’esclavage, qui
corrompt le maître et l’esclave, au lieu d’étouffer
dans l’esclave musulman tout sentiment de la dignité
humaine, relève au contraire, dans le maître,
le sentiment de la miséricorde, et dans l’esclave,
celui de la reconnaissance, on concluera de même
———————————————–
(1) Act. 29. Évangile 49, v. 12.
———————————————–
contre lui que, pour y être soumis à un autre régime
qu’en Occident, le droit de propriété et de succession
n’en existe pas moins en Turkie qu’en
France, et dans I’Islam que dans l’orthodoxie des
tzars; car, pour peu que l’on y fasse attention, on
se convaincra, d’un côté, que la concentration des
propriétés et l’interdiction aux étrangers de posséder
le sol, si injustes qu’elles soient, sont cependant
si loin d’être la négation du droit de propriété,
et, comme aucuns l’alfirment, la cause unique de la
décadence de l’empire turk, que ces deux institutions
ont élé au contraire jusqu’aujourd’hui les deux
principales causes de la puissance anglaise; de
l’autre, que non-seulement la polygamie n’y a pas
détruit Ia famille, mais qu’au contraire, il n’existe
peut-être pas dans toute l’orthodoxie des tzars un
peuple chez lequel le sentiment de la famille soit
plus développé que chez les musulmans, la société
organisée sur une base plus fraternelle, sur un fond
plus égalilaire, et la dignité humaine plus fortement
empreinte dans les moeurs. C’est dans cette conviction
que tout esprit juste conviendra qu’il y a plus
à espérer qu’a désespérer de I’Islam pour le progrès
de la civilisaiion et l’avenir démocratique de
l’Europe ; car il aura reconnu que la fraternité et
l’égalilé en sont le poids et la mesure, .que la liberté
n’y a d autres entraves qua la licence et l’excès,
l’abus et l’usure, et que l’homme y est entièrement
libre de faire tout ce qui est égal et fraternel, la loi
ne lui défendant que ce qui n’est ni fraternel, ni égal.
suite…
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